Page:Mousseau - Mirage, 1913.djvu/30

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 21 —

recours à lui il les soignait plutôt par amour de sa profession et ne chargeait que de légers honoraires. Cette manière d’agir lui attirait sans cesse de nouveaux malades, de sorte qu’il était beaucoup plus occupé qu’il ne l’aurait voulu, en dépit, de son désir d’un repos bien mérité.

Il causa un instant avec Larue, puis lui dit au revoir, car l’air était vif et ne convenait pas aux arrêts prolongés. « À propos, » fit Larue comme le docteur se disposait à s’éloigner, « savez-vous que Dulieu a mis à exécution son projet de faire des spéculations à Saint-Augustin ?

— Comment cela, demanda le docteur ?

— Vous rappelez-vous qu’il voulait acheter des terrains, et y construire des cottages, pour les louer ou les revendre ?

— Je m’en rappelle vaguement.

— Eh : bien, il a acheté une terre, celle d’un nommé Josaphat Beaulieu, et il a fait préparer des plans pour la construction de plusieurs villas qui seront prêtes l’été prochain.

— Vraiment ? il est merveilleux !

— Il se propose de publier beaucoup d’annonces, au printemps, et il compte faire une excellente affaire. Comme vous avez une propriété à Saint-Augustin, j’ai cru que la nouvelle vous intéresserait.

— Elle m’intéresse en effet, dit le docteur en souriant ; si ce satané Dulieu remplit l’endroit de bruit et l’encombre de gens nouveaux, je serai obligé d’aller chercher la paix ailleurs. Ces agents d’immeubles ! Il faut qu’ils fassent des affaires partout !

Les deux hommes se séparèrent.

Le soir, le docteur raconta, au souper, ce que Larue lui avait appris.

Ces paroles produisirent une grande impression sur sa femme et sa fille, car elles étaient comme lui très attachées à leur maison de campagne et elles n’auraient pas voulu que rien vînt gâter leurs villégiatures.

« Je me demande qui monsieur Dulieu va nous amener à Saint-Augustin, dit Ernestine… Pourvu que ce soient des gens comme il faut, il vient toute sorte de monde, le samedi et le dimanche, mais s’il fallait que ce soit continuellement comme cela »…

Madame Ducondu avait des habitudes simples ; elle aimait à recevoir quelques intimes, mais elle détestait l’étiquette et la contrainte. Elle émit donc l’opinion que Saint-Augustin exigeait actuellement assez de toilette et de visites et deviendrait intolérable si on en faisait une place en vogue.

« En y réfléchissant, » dit le docteur, « je ne crois pas que nous courions de danger. Dulieu est plus intelligent que cela : il sait bien que si moi et quelques autres nous sommes allés nous installer à Saint-Augustin, c’est pour nous reposer, dans le calme de la campagne, parce que c’est une vraie campagne et non une succursale des clubs et des salons de la ville. Il va probablement tenter d’attirer les gens en pro-