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lui faisait faire mille courses, quand on ne l’occupait pas à rédiger les pièces de procédure. Cela durait ainsi, sans répit, jusqu’à ce que l’heure du cours de l’après-midi le ramenât à l’université, d’où il ne sortait qu’à six heures.

Il avait donc trois heures de cours par jour et ses soirées lui suffisaient à peine pour repasser ces cours et lire les auteurs traitant des sujets dont parlaient les professeurs. Il eut même pu consacrer ses samedis et ses dimanches à l’étude sans parvenir à tout apprendre, car la science du droit est comme toutes les autres branches du savoir humain : un seul cerveau ne peut la contenir toute et on l’étudie toute sa vie en ayant toujours quelque chose à apprendre. Aussi un étudiant est-il forcément obligé de suivre d’abord le texte de ses manuels et de ses codes, quitte à se renseigner ensuite, autant qu’il le peut sans se surmener, sur les questions de pratique et sur la jurisprudence.

Louis, faisait de son mieux. C’est à la vérité tout ce qu’on est tenu de faire dans la vie, mais on n’arrive souvent au succès qu’en se prodiguant davantage et en se faisant réellement violence pour accomplir plus qu’un effort ordinaire ne peut produire. Quand arrivaient les examens, le jeune étudiant ne dormait pas beaucoup et il s’acharnait souvent passé minuit sur quelque texte de loi dont le sens lui échappait.

Celui qui n’a pas su pâlir sur les livres, dans le calme et le recueillement d’une chambrette d’étudiant, pendant que dans la cité illuminée par la clarté brillante mais blafarde des réverbères passe le tourbillon des plaisirs, pendant que la foule s’amuse et jouit, celui-là n’est pas prêt pour la vie, et n’est pas digne du succès. Mais celui qui a lu à longs traits à la source du savoir, celui qui a négligé les plaisirs et qui a recherché l’austère compagnie du devoir et de l’étude, celui-là est fort : les obstacles ne l’effraient pas et il est digne de confiance et d’estime. Il est prêt à jouer, sur la scène du monde, le rôle qui lui convient.

Si les pensées graves et le travail assidu plaisaient à Louis Duverger, il n’en était pas de même d’Arthur Doré : Louis l’avait fort peu souvent comme compagnon, quoiqu’ils partageassent la même chambre ; ils n’étaient guère ensemble que les jours où Louis prenait congé et se donnait un peu de récréation. Ils ne se voyaient qu’aux cours du matin, où Arthur se rendait assez régulièrement, parce qu’il faut en avoir suivi un certain nombre pour être admis à prendre part aux concours de fin d’année et aux examens finaux.

Souvent, après le cours, Arthur retournait se coucher, fatigué par une nuit de plaisir. Il faisait sa cléricature dans le bureau d’un ami et il ne se rendait que rarement à ce bureau. Quand il travaillait avec Louis, c’était à la veille des examens et il devait à la complaisance de son ami, qui se faisait son répétiteur, de n’être pas plus en retard qu’il l’était. Il faisait le calcul qui réussit à quelques-uns, mais qui en fait échouer un plus grand nombre, et il attendait les derniers six mois de la dernière année pour se préparer à l’épreuve de la li-