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Plusieurs arrivent avec de bonnes dispositions et perdent, en même temps que ces bonnes dispositions, tout le reste de leur vie. D’autres ne commencent qu’à l’université à envisager sérieusement la vie et à s’y préparer consciencieusement à remplir les devoirs que leur profession leur imposera à l’égard du public et à faire honneur aux responsabilités qu’ils assumeront.

Si les conseils et les leçons des professeurs ont une grande influence sur les étudiants, le caractère de chacun et la situation où il se trouve modifient beaucoup ces influences. Les jeunes gens de la ville qui sortent d’un externat pour entrer à l’université et qui demeurent dans leurs familles ne courent assurément pas grand danger ; ils ne font que garder les défauts ou les qualités qu’ils ont, car ils ne changent guère de milieu. Mais il n’en est pas de même des jeunes gens des campagnes. Ces derniers apportent la sève vive du soi ; ils viennent mêler leur sang pur et fécond au sang appauvri des fils des cités ; ils ont l’appoint d’énergie précieuse et de forces qui constituent une richesse inestimable. — Comme toutes les richesses, ces trésors sont souvent gaspillés.

L’université expose en effet aux tentations d’une grande ville ces jeunes gens éloignés de leur foyer, pleins de la joie de vivre et grisés de liberté. Ils n’ont d’autre protection que la force de leur caractère et les bonnes habitudes prises au collège. Que ces préservatifs sont fragiles devant tant de dangers, dont quelques-uns sont encore plus grands parce qu’ils sont inconnus !

Ceux qui résistent sont doublement trempés ; ils sont prêts pour la lutte.

Les professeurs, qui ont vu passer tant de jeunes gens, savent les tempêtes et les orages qui assailliront cette belle jeunesse et le discours d’ouverture du doyen, dans chaque faculté, est généralement une sorte de petite homélie laïque au cours de laquelle il exhorte ses auditeurs à bien faire et leur donne les conseils que lui inspire son expérience. C’est des exhortations de ce genre qu’entendirent Louis Duverger et Arthur Doré, quand l’appariteur convia à la salle des cours les étudiants qui causaient et riaient, en se racontant leurs aventures et leurs plaisirs de l’été.

Le doyen répéta, comme il le faisait chaque année, à pareille époque, que l’ennemi des étudiants c’était surtout l’alcool, puis les flâneries et les cartes. Arthur écouta d’une oreille distraite ces recommandations et ces conseils dont il aurait eu grand besoin, car il jouait souvent aux cartes des nuits entières et profitait vraiment trop peu de l’exemple que lui donnait Louis par ses habitudes sages et rangées. Pourtant, celui-ci n’était pas de ceux qui font détester la vertu, car il n’était pas méticuleux et ne s’astreignait à aucune règle ridicule ou forcée ; il travaillait simplement continuellement, prenant de temps à autre le repos et les récréations dont il avait besoin. C’était sa seule règle.