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saient adieu à Arthur et que madame Doré, qui commençait à s’inquiéter de son peu de succès à l’université, lui disait avec sollicitude : « travaille bien, mais ne te fatigue pas, prends soin de ta santé. » Arthur promit de travailler et de prendre soin de santé, qui n’était nullement en danger. « Écris-nous souvent », lui cria Marcelle, comme le train s’ébranlait.

Un coup de sifflet retentit ; les wagons s’enfuirent, dans un tourbillon de poussière, et diminuèrent rapidement dans le lointain, puis se perdirent tout-à-fait à l’horizon, où un léger nuage de fumée flotta un instant.

C’était tout ; ils étaient partis.

Les deux familles se séparèrent, après avoir échangé des salutations, et Marcelle et sa mère rentrèrent au logis.

« Je suis content que cela soit terminé » dit Arthur Doré à Louis Duverger, quand le train se mit en marche ; « c’est toujours une scène quand je pars. On dirait que je m’en vais au bout du monde. Pourtant, Montréal n’est pas loin et je ne vois pas pourquoi maman se désole tant. »

— Tu es fils unique, dit en souriant Louis.

— C’est ça, continua Arthur, et on voudrait tout le temps me tenir en sûreté, comme un objet précieux. Je suis continuellement accablé de recommandations. J’avoue que je ne suis pas fâché de redevenir libre.

— Ça n’est pas pareil chez moi, fit Louis : mon père et ma mère n’ont pas le temps de me gâter.

Cette allusion de Louis à son père et à sa mère, pour lesquels Arthur n’avait qu’une médiocre estime, parce qu’ils n’étaient que de simples cultivateurs et qu’il lui déplaisait que Louis fît un rapprochement entre eux et sa mère, le rendit silencieux. Il ne daigna pas répondre ; il alluma une cigarette et se mit à fumer.

Son silence n’offensa pas Louis, qui avait pour lui l’indulgence des caractères forts pour ceux qu’ils sentent inférieurs à eux. Et puis Arthur était un ami d’enfance de Louis et celui-ci avait trop bon caractère pour se formaliser de ses brusqueries et de ses manières un peu lestes.

— « Il va falloir que je passe mes examens, » dit tout à coup Arthur. Il avait plusieurs examens trimestriels en retard et cette pensée, surgissant tout-à-coup, troubla sa quiétude.

— Ce n’est pas un gros travail, dit Louis.

— Non, j’ai le temps.

Et avec la mobilité d’esprit qui le caractérisait, Arthur s’exclama : « je ne sais si Jeanne Legris est revenue en ville ! »

Jeanne Legris, c’était la fille d’un employée du Palais à laquelle cet employé l’avait présenté, croyant que les bonnes manières d’Arthur le destinaient à devenir un homme fort distingué. Monsieur et madame Legris l’invitaient chez eux, le choyaient et le cajolaient. Arthur ne demandait pas mieux que de retrouver à leur foyer l’atmosphère d’ad-