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refaire ses forces. Que la vogue demeure ou non, je reviendrai certainement ici tous les étés.

— Moi aussi, déclara le docteur Ducondu.

« Je trouve singulier que vous vous soyez contentés de vous acheter juste le terrain suffisant pour construire une maison et pour planter quelques arbres », dit Joseph Dulieu, un courtier en immeubles, à Savard et au docteur Ducondu ?

— Et pourquoi donc, firent en même temps les deux hommes.

— Parce que si vous aviez acheté plus grand de terrain, vous auriez pu construire plusieurs maisons et les revendre ensuite. Ç’eût été une excellente spéculation.

— Oh ! je n’ai pas les moyens de spéculer, dit Savard.

— Et moi, répondit le docteur, je n’ai songé à rien de semblable.

« Ce Dulieu », s’exclamèrent plusieurs hommes d’affaires, il ne songe qu’à l’argent.

— J’y pense et j’en fais, répondit le courtier, avec suffisance, en frappant sur son gousset. Je vous dis moi que ce pays de montagnes et de lacs conservera sa vogue, que celui qui construira ici de jolis cotages et les vendra à des conditions raisonnables se fera un joli magot. Il suffit d’un peu d’annonces pour créer et continuer la vogue, et une fois que plusieurs personnes auront acheté des cottages, Saint-Augustin ne fera qu’augmenter.

— Et où les construiras-tu tes cottages, demanda à Dulieu un de ses amis ?

— Ici même ; c’est le plus joli endroit.

— Le père Beaulieu ne voudra jamais vendre.

— Il ne demandera pas mieux, si je lui offre assez.

— Je serais curieux de voir ça !

— Tu verras.

L’après-midi s’achevait et il avait été convenu que le retour s’effectuerait pendant qu’il ferait encore jour.

On appela donc tout le monde pour le souper. Cette fois, les convives n’étaient plus aussi allègres et les fatigues de toute la journée avaient un peu diminué l’entrain. Il se ranima, cependant, quand on fut remontés dans les charrettes et qu’on se fut mis à chanter.

Les chanteurs entonnèrent de vieux refrains, aussi simples que rococos, chantés depuis longtemps dans les campagnes canadiennes et qui s’y chanteront probablement longtemps encore.

Ce fut d’abord :

« Auprès de ma blonde,
Qu’il fait bon de vivre… »

Puis à ces couplets vieillots et d’une langueur un peu niaise, succédèrent l’inévitable :

« Meunier tu dors,
Ton moulin, ton moulin
Va trop vite ;
Meunier tu dors,