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cette branche vous ait ainsi égratignée ! »… « mon Dieu, je viens de marcher sur une roche et j’ai failli me démettre le pied ! »…

On conversait ainsi dans tout le bocage, sans s’écarter trop loin, parce que madame Ducondu avait dit : « je vous appellerai bientôt. »

Au bout d’une heure, le lunch était prêt et on se mit gaiement à table, avec un appétit aiguis par l’air frais et l’exercice.

Un repas ainsi improvisé donne toujours lieu à des incidents inattendus et amusants, et ce fut bientôt un feu roulant de rires, de plaisanteries, et de bons mots. Même les plus renfrognés se déridèrent et les hommes d’affaires en villégiatures à Saint-Augustin oublièrent pendant quelques instants tous leurs soucis et leurs préoccupations, gagnés par la bonne humeur des jeunes, qui jouissaient sans arrière pensée du plaisir préparé pour eux et dont l’exubérante vitalité faisait secrètement envie à leurs aînés.

Après le repas, les jeunes gens et les jeunes filles partirent de nouveau, munis des sages recommandations des parents, pour aller cueillir des fruits et des fleurs dans les buissons, et pour faire ensemble une moisson de verdure et d’illusions.

Un attendrissement soudain monta aux yeux de quelques mères, en voyant partir les jeunes couples, attendrissement sans doute fait d’espérance et d’amour, mais aussi de souvenirs… Quelques-unes firent des allusions badines au temps où elles aussi allaient cueillir des fleurs sous la feuillée.

Les maris et les pères, qui en avaient eu assez de leur promenade sous bois de la matinée, demeurèrent auprès des dames, avec lesquelles quelques uns d’entre eux causèrent galamment. D’autres, plus prosaïques, allumèrent leur pipe ou des cigares et fumèrent tranquillement, en faisant la sieste et en causant d’affaires ou de politique.

Saint-Augustin est un petit village situé sur la ligne du Pacifique qui va de Montréal à Sainte-Agathe et il y avait là nombre d’hommes de profession et d’hommes d’affaires de Montréal, car la proximité de la ville, jointe à l’air pur des montagnes, avait attiré à Saint-Augustin plusieurs montréalais. La région du Nord de Montréal tend de plus en plus à devenir un endroit recherché des touristes.

On discutait justement la question de villégiature et on venait de faire la remarque que la vogue des endroits de villégiature variait beaucoup. « Autrefois, » disait l’un, « c’était à Beauharnois que se rendaient les citadins fashionables, c’était aussi dans le bas du fleuve ; maintenant, c’est dans le nord ; demain ce sera ailleurs. »

— Oui, répondit Jean Larue, un avocat de Montréal, mais chaque endroit garde tout de même un peu de sa popularité. S’il y a plus d’endroits en vogue qu’autrefois, c’est que la population est plus nombreuses et que le nombre des gens à l’aise qui peuvent se payer une villégiature va en augmentant.

— En tout cas, continua Émile Savard, sténographe officiel au Palais, à Montréal, j’ai acheté une propriété ici, j’y ai construit une maison et je trouve que c’est un endroit idéal pour se reposer et pour