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grande charrette à foin, — car c’est dans ces véhicules primitifs que se font les pique-niques, simples et charmantes excursions sous bois qui réunissent tout un village et au cours desquelles on s’amuse en famille, d’une manière presque patriarcale.

Saint-Augustin avait un « club », où on dansait plusieurs fois par semaine. Les mères prudentes accompagnaient au « club » leurs jeunes filles et les autres mères, — moins prudentes, — les laissaient y aller seules. Toutes dansaient et s’amusaient énormément au va-et-vient des couples de rencontre, coudoyant une foule de gens qu’elles n’auraient pas voulu recevoir dans leurs salons mais dont elles supportaient le voisinage et la promiscuité. Une pianiste quelconque jouait des valses et on tournoyait, on tournoyait, à perte d’haleine ; on revenait ensuite en proclamant qu’on avait eu beaucoup de plaisir.

Cela recommençait ainsi toutes les semaines.

D’une soirée de danse à une autre, on discutait, dans les cottages et les hôtels, le programme de la prochaine fois ; on discutait aussi la réputation des danseurs et des danseuses, qui recevait quelquefois de fâcheux accrocs.

C’était la saison mondaine transportée à la campagne, avec plus de laisser-aller, avec moins de décorum et avec le cadre champêtre des montagnes comme décors et l’exquise senteurs des fleurs et des bois pour en tempérer les ardeurs, avec tout le vide des réunions où l’on est censé s’amuser mais aussi avec une poésie et une langueur ambiantes dont le charme était indéniable et qui atténuait la futilité habituelle des réunions de ce genre.

Madame Ducondu était originaire d’une vieille paroisse où, dans sa jeunesse, on donnait, pendant l’été, un ou deux pique-niques, considérés comme les événements de la saison. Elle avait résolu de terminer l’été par une de ces fêtes antiques à la rose. Elle s’était ouverte de son projet à ses amies, qui s’étaient d’abord récriées, puis qui avaient fini par consentir, séduites par l’originalité de la proposition.

Pendant toute une semaine, on avait cuisiné et fait des préparatifs, dans maintes maisons. Des viandes rôties avaient été mises sur la glace ; des gâteaux à double étage avaient été serrés dans les dépenses ; on avait apprêté des gelées et des desserts divers et préparé tout ce qu’il fallait pour les exploits gargantuesques d’une cinquantaine de personnes.

Et maintenant, tout était prêt, la température était superbe, jeunes filles et jeunes gens trépignaient d’impatience, et on allait avoir un pique-nique.

La journée était chaude et les jeunes gens avaient pour la plupart des souliers blancs, des pantalons blancs et des chemises bouffantes ; rien de plus, pas de chapeaux : on n’en porte pas l’été, quand on est à la campagne. Les jeunes filles n’avaient pas de chapeaux non plus, préférant faire parade de leur endurance aux rayons du soleil et montrer le hâle de leurs joues ; quelques-unes cependant avaient em-