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ne donnait encore nul signe de vie et tout demeurait coi. Aussi, quand une fenêtre s’ouvrit avec fracas, au deuxième étage, sous le pignon de la maison, et qu’un jeune homme allongea la tête au dehors, en éternuant bruyamment, surpris par l’air froid et les rayons du soleil qui le frappaient en plein visage, ce fut le signal d’un émoi considérable dans la basse-cour : les poules caquetèrent et sautèrent de leurs perchoirs, les coqs, se dressant sur leurs ergots, se désenrouèrent la voix, avec des accents éclatants, et le chien de garde, qui sommeillait sur le perron, accourut pour voir la cause de tout ce tintamarre et aboya joyeusement en reconnaissant dans celui qui venait d’ouvrir la fenêtre son maître, Louis Duverger, le fils du propriétaire de la ferme.

Louis était un jeune homme de vingt ans, sérieux et travailleur, que son père, cultivateur à l’aise et intelligent, désireux de faire « quelqu’un » de son garçon, avait envoyé au collège. Le jeune homme avait bien profité des leçons de ses maîtres. Au contraire de tant d’enfants qui rendent inutiles les sacrifices et les dépenses de leurs parents, il avait tenu à profiter des avantages qu’on lui offrait. Instruit de la nécessité du travail par l’exemple de la vie laborieuse de son père, il avait très jeune compris la noblesse du rôle attribué aux travailleurs, à ceux qui sont utiles à leurs semblables, à ceux qui entreprennent des tâches fécondes qu’ils mènent à bien, soit qu’ils sèment le blé dont le peuple a besoin pour sa nourriture, soit qu’ils sèment les idées dont la germination est nécessaire à l’accomplissement des destinées des individus et des peuples. Il avait compris que chacun a, ici-bas, un devoir qu’il doit remplir et que l’on doit mesurer la valeur d’un homme d’abord d’après l’idéal qu’il poursuit et ensuite d’après son utilité pour ses concitoyens et d’après l’importance de son entité dans la sphère où il est placé, si grande ou si petite soit-elle, bornée par les frontières d’un pays ou par les limites d’un canton. Ces vérités ne s’étaient naturellement fait jour que peu à peu et graduellement dans son esprit ; la ferme tendresse de son père avait aidé cette formation intellectuelle et hâté la maturité de son jugement. Loin de prendre son fils pour un personnage parce qu’il était en passe de devenir plus instruit que lui, et sans non plus le traiter durement, le père Duverger avait su éviter des deux excès contraires dans lesquels tombent trop de pères : il n’avait pas gâté, son fils en le considérant comme une des sept merveilles du monde, parce qu’il apprenait le latin, et en tolérant que tout le monde fût en admiration devant lui et que sa mère et ses sœurs devinssent ses servantes, et il ne l’avait pas non plus fatigué et ahuri en le surchargeant de travail pendant ses vacances, de crainte que l’écolier ne voulût ensuite se reposer pendant le reste de l’année. Il avait usé de modération, et de tact, et sa manière d’agir mérite d’être citée comme exemple aux fermiers qui font instruire leurs fils.

Louis se rappelait toujours sa première année de collège et ce que lui avait dit son père, au début de cette année.