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bout de la table, l’image parfaite de l’honnêteté heureuse.

Ancien notaire, après avoir été maire de son village et même député du comté de St-Germain, il s’était retiré de la vie active avec une très jolie fortune.

Estimé et considéré de ses co-villageois, il ne s’occupait plus que d’œuvres charitables et de l’éducation de sa famille, tâches dans lesquelles il était admirablement secondé par son épouse.

Celle-ci, de trois ans plus jeune que son mari, avait eu une nombreuse famille et n’en paraissait pas plus vieille ; mère tendre et pieuse, elle avait été bénie du Ciel et voyait autour d’elle des filles aimantes et des fils respectueux et soumis, digne récompense de ses vertus et noble aliment à son amour — à cet âge où les parents se hâtent de prodiguer leurs conseils et de témoigner leur affection à leurs enfants, tant ils craignent que demain ne les en rende incapables pour toujours.

Six de leurs enfants étaient encore vivants ; les autres étaient morts en bas âge.

À la droite de M. Leblanc était assise sa fille aînée, Marie-Louise, dont la douce beauté parlait de printemps et d’espérance. Elle était à l’âge où tout est promesse et où toute promesse est une promesse de bonheur, âge heureux qu’il n’est pas permis de rappeler, mais qui ne devrait jamais être oublié.

Édouard, ses hôtes et les plus jeunes enfants occupaient le reste de la table.

M. Leblanc veillait, de concert avec son épouse, à ce que personne se manquât de rien.

Édouard, disait-il, offre donc du pain à Monsieur Lavoie.

— Encore une tasse de thé, Monsieur Soucy, reprenait madame Leblanc.

Tout en mangeant avec autant de bel appétit que de bonne humeur, — l’air du fleuve n’engendrant pas la dyspepsie — on commentait les événements de l’après-midi ; Édouard racontait l’assemblée, à son père, qui n’avait pu y assister.

Puis l’on parla d’autre chose : du dernier pique-nique auquel on avait pris part ensemble, des bains de mer, du cirque qui devait donner des représentations dans quelques jours, de la réouverture des cours à la faculté de droit, le premier septembre ; et de mille autres sujets… de la gentillesse du petit Paul,… des méfaits de Jeanne, qui avait, la veille, enfermé le chat dans la soupière et ensuite mis du sucre dans la soupe. — Aussi avait-il été décidé, qu’en juste punition de ces crimes de lèse-potage, mademoiselle Jeanne n’irait pas au cirque.

Le souper fini, on passa sur la galerie, où l’on s’installa pour la soirée, Marie-Louise ayant déclaré qu’il faisait trop beau pour marcher. Ce paradoxe rencontra l’approbation des jeunes gens et, pour accéder aux idées de rêveries étoilées de la jeune fille, on renonça à la promenade. — Il se faisait déjà tard, du reste ; et du soleil, disparu dans les flots, on ne voyait plus que la gloire, pourpre et or.

Après avoir dit bonsoir et embrassé tout le monde à la ronde, les enfants allèrent — pour employer l’expression consacrée — faire dodo. Madame Leblanc s’absenta quelques instants, pour surveiller leur sommeil, et revint, tenant à la main un large chapeau en feutre blanc, dont elle couvrit la jolie tête de sa fille.

Elle conseilla aux jeunes gens de se couvrir, eux aussi, mais ils déclarèrent, tout en remerciant de l’aimable conseil, qu’ils n’avaient pas froid : est-ce qu’on sent l’humidité du soir, quand