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Il a eu maille à partir avec lui et il rit, au souvenir de la piteuse mine qu’il lui a fait faire.

Petites misères qui ne troublent pas sa paix d’esprit et ne l’aigrissent pas : une fois fini, c’est fini.

Édouard reprend son livre et continue sa lecture. Il lit un roman d’Henri Bordeaux, « La Peur de Vivre. »

Les romans ne sont pas son fait, d’habitude, mais une fois n’est pas coutume. D’ailleurs, c’est à l’intention de Blanche qu’il le parcourt, voulant le lui envoyer.

Ce roman ne peut être mis entre les mains de tout le monde, mais une jeune fille sérieuse, peut le lire et en retirer du profit, croit-il. Il se dispose donc à en faire un colis qu’il mettra demain à la poste, et songe au plaisir qu’éprouvera la destinataire, quand il entend frapper à sa porte.

Entrez !

C’étaient Louis Ricard et son ami, Bernard Giroux, le secrétaire de l’honorable Potvin, qu’Édouard avait eu le plaisir de connaître au mois de novembre précédent, au banquet des étudiants.

— Bonjour ! Quelle bonne surprise !

— Bonjour, monsieur Giroux… Quand es-tu arrivé ?

— Ce soir. J’ai rencontré mon ami Giroux, dans le train, et je l’ai amené avec moi, à cause du proverbe,… tu sais…

— Plus on est de fous, dit Giroux…

— Plus on rit. Tu l’as. Rions, maintenant. Qu’est-ce que tu deviens en ville, mon cher Édouard ?

— Je ne deviens pas encore célèbre, mais j’y travaille.

— Hum ! tu as des ambitions.

— Des fois.

— Ça te mènera loin… T’arrive-t-il d’avoir la vision de ce que tu seras, plus tard ? Te vois-tu en plein milieu de ta vie et de ta carrière, et vois-tu où tu en seras et ce que tu feras, alors ?

— J’avoue que non ; et j’aime autant ne pas penser à ça : je vieillirai toujours assez vite et je ne tiens pas, à me figurer que je suis à cinquante ans, avant d’y être rendu.

— Pourtant, ça peut être utile. Si tu agis en songeant à tes quarante ans, tu agiras peut-être sagement.

— Oh ! tant qu’à ça, je tâche d’user de sagesse le plus possible. Mais toi, qu’est-ce que tu deviens quand tu songes ainsi ?

— Moi, dans ce temps, j’ai un revenu assuré d’une couple de mille dollars et je passe ma vie à étudier et à travailler dans les livres et les idées. Je m’imbibe de littérature et je me gorge de science…

— Que tu laisses sans doute retomber en rosée bienfaisante sur tes compatriotes, interrompt Giroux, en riant.

— Que je laisse retomber en rosée bienfaisante sur mes compatriotes, dans des livres qui seront le fruit de ma maturité.

— Alors, demande Édouard, que penses-tu de ceux qui écrivent avant quarante ans ?

— Ils ont tort.

— Je crois que ceux, qui agissent comme tu voudrais le faire et qui attendent si longtemps pour produire, arrivent tard, eux. D’ailleurs, je parie que tu démentiras tes propres paroles.

— C’est possible.

— Et qu’est-ce qu’on fait de bon, à Québec, monsieur Giroux ?

— Je crois qu’on fait plus de mal que de bien, par le temps qui court.

— On y fait des enquêtes sur les affaires louches ?

— Oui ; et on s’arrange pour n’avoir ni jugement, ni témoignage ; de sorte que les gens qui sont lavés par ces commissions, le sont joliment mal et qu’elles mériteraient bien mieux, plu-