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Les enfants viennent de partir pour l’école.

Avant de me mettre à l’ouvrage, je t’écris, car il y a déjà quelques jours que je veux le faire et si j’attendais à ce soir, je suis bien sûre que je m’endormirais trop.

Il neige ; je suis allée secouer un tapis dehors, tout à l’heure, dans la belle neige neuve. Que c’était amusant.

Fidèle a l’air d’avoir autant de plaisir que moi ; il se roule dans la neige, comme un fou ; ensuite, il part à courir et à japper. C’est assez drôle de le voir faire !

Blanche m’a dit qu’elle viendrait me voir, ces jours-ci.

Elle aussi, elle est très occupée.

Maman m’a fait faire un joli manteau neuf pour cet hiver ; papa dit que si tu es reçu il va t’acheter un capot de chat.

Tu vas avoir l’air tout à fait imposant avec tes titres… et ton chat, je suis sûre que je vais me sentir intimidée devant maître Leblanc

Ça me fait de la peine de ne pas pouvoir écrire plus longtemps que ça, mais maman m’appelle.

Un bec. Je me sauve.
Ta petite sœur,
Marie-Louise.

Tout regaillardi par ces bonnes paroles de son père et par les gentillesses de sa sœur, Édouard se mit à l’ouvrage.

Sa journée se passa comme d’habitude, laborieuse — et longue, en dépit de ceux qui prétendent que le travail raccourcit infailliblement les jours : il les rend surtout féconds.

À quatre heures et demie il descendit en ville.

À l’Université, il n’était question que d’un article de la Justice où l’on dénonçait une nouvelle transaction scandaleuse du gouvernement.

Chose étrange et qui dénotait bien la coupable connivence des grands quotidiens, la « Justice » était toujours seule à faire ces révélations.

Quant au public, lui, il admirait la perspicacité du directeur de la “ Justice ” et sa bravoure ; et puis, c’était tout. Il semblait que ce fut la mission de Jean-Baptiste Rivard de prêcher dans le désert et que le rôle du public fut d’applaudir à la dénonciation des scandales et de continuer à accorder sa confiance à ceux qui le volaient d’une façon éhontée.

Cette fois-ci, il s’agissait de l’octroi d’un bonus à un chemin de fer électrique entre deux municipalités peu éloignées l’une de l’autre, à un endroit où aucun commerce quelconque, aucune exploitation industrielle, rien ne justifiait l’établissement d’une voie ferrée : un ministre, qui n’était pas même à la tête du département dont relèvent les chemins de fer provinciaux, s’était engagé verbalement, devant des témoins, à faire obtenir, aux constructeurs du chemin de fer, un subside de cinquante mille dollars par mille. Or, la construction du chemin en question pouvait coûter à peu près le tiers de cette somme. Ce qui laissait un bénéfice net de trente mille dollars aux constructeurs. C’était un cadeau que le gouvernement leur faisait, avec l’argent du peuple.

D’où, dénonciation par Rivard de tels procédés administratifs. Dans un article indigné, il flétrissait les coupables, disant que leur place était à Beauport ou au pénitencier, mais pas dans des fauteuils de ministres.

C’était juste ; seulement, s’attaquer aux gens qui ont le pouvoir et qui détiennent la justice, à des gens qui ne regardent pas du tout à supprimer un témoin ou à faire disparaître une preuve, c’est jouer gros jeu, surtout quand on n’a pas un parti derrière