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le mettant de côté comme une ombrelle qui a cessé de plaire. Mais elle l’avait marqué pour la vie, le flétrissant d’une tare indélébile, lui ayant révélé l’usage du linge fin, des dessous neigeux, de la poudre de riz et du fard. Désormais, il fut incapable de goûter la simplicité des amours rustiques, l’odeur saine des corps fleurant bon le foin. Les filles de la campagne lui paraissaient des souillons auprès de cette femme, dont la peau de blonde éraillée exhalait des odeurs troublantes.

Rentré au pays, il avait continué, prenant des maîtresses un peu partout.

Il avait été choyé cette année-là par la femme d’un maître dragueur, dont le bateau était amarré dans une anse tranquille de la Moselle ; une belle femme brune, aux yeux ardents, approchant de la trentaine, et qui dès le matin se tenait sur le devant de sa cabine, vêtue de camisoles d’une blancheur irréprochable, ayant l’air d’attendre, on ne savait quoi, dans sa mise de femme entretenue. Elle souriait, quand Pierre passait dans sa barque, roulant sur ses reins, montrant ses bras nerveux et musclés, sa nuque que le soleil dorait d’une teinte chaude. Elle s’était donnée à lui, un soir d’été qu’elle l’avait attiré dans sa cabine, à l’heure où les pourpres du couchant ensanglantaient le fleuve, où les crapauds au fond des mares poussaient leur complainte monotone. Et elle s’était mise à l’aimer éperdument, lui faisant connaître l’émoi des rendez-vous furtifs, la volupté des étreintes rapides, avivées d’un frisson de terreur, dans la crainte du mari, un Alsacien pas commode, dont le revolver était accroché à un clou, sur le mur de la cabine. Leur liaison avait con-