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glante, bouffie, pareille à une vision de cauchemar ; alors elle se prit à crier, traversée à cette vue d’une épouvante surhumaine.

Comme si elle se fût sentie traquée par le regard de l’astre, qui s’éborgnait aux arbres de la côte, elle se lança d’un bond, et son front vint heurter un mur ; elle roula sur la terre, toute étourdie.

Elle reconnut un rucher, qu’on avait bâti là, au milieu des chènevières. Une sourde rumeur, un bourdonnement confus et lourd de sommeil emplissait les ruches, reposant sur leurs rayons. Soudain elle eut l’âme traversée d’associations rapides, de ce défilé d’images que voient surgir les noyés, qui descendent dans l’eau noire. Tous les souvenirs de sa petite enfance lui revenant dans un afflux subit, elle revit les plates-bandes garnies de corbeille d’argent, où venaient se poser les abeilles murmurantes, les trous des vieilles murailles où s’embusquaient des araignées sournoises, le gazon fin où couraient des scarabées, et les matins de fête vibrants de cloches mystérieuses, qui sonnaient au fond des jardins.

Exténuée, elle vint s’asseoir au bord de la rivière ; derrière la grande digue plantée d’osiers, l’eau s’étalait, noire et fangeuse, enfermant dans ses profondeurs un charme attirant d’oubli. Marthe était presque calme, maintenant que sa résolution était prise.

Comme à un signal, toutes les bêtes de l’eau se mirent à crier à la fois, faisant entendre leurs clameurs assoupissantes.

Marthe songea qu’on avait mis du chanvre à rouir dans cette eau, car une odeur fade se levait de la surface vaguement mouvante.