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le silence de la cuisine. Il n’osait pas interroger Dominique, lui demander pourquoi Pierre n’était pas de retour ; il soupçonnait, à son affaissement, qu’il s’était passé quelque chose.

Soudain on entendit grincer la barrière de bois qui fermait le jardinet, le gravier des allées cria sous des pas légers, et Marthe parut, rieuse de plaisir, toute rose et toute essoufflée par sa course, car elle avait aperçu la silhouette du vieux pêcheur, longeant les buissons d’aubépine.

Une stupeur la prit à la vue des deux vieillards silencieux. Si lamentable était l’attitude de Dominique, qu’elle devina aussitôt qu’un grand malheur était arrivé.

Le vieux eut un accès de franchise brutale, estimant sans doute qu’il avait assez longtemps porté ce fardeau de douleur à lui tout seul :

— Le gueux est parti avec une fille des bateaux. Il ne reviendra jamais. Je ne veux plus en entendre parler…

Il n’avait pas achevé sa phrase, qu’il la regrettait déjà. Il voulut courir après elle, la rattraper, lui dire quelques bonnes paroles, mais elle était déjà au bas de la côte.

Elle ne savait plus rien, elle ne sentait rien, elle ne voyait rien, n’ayant plus rien en elle de vivant que cette affreuse certitude, que le déchirement de cette douleur, qui d’instant en instant devenait plus lancinant et plus exaspéré. Dans un affolement de tout son être, elle se mit à fuir devant elle, au hasard des chemins, talonnée par la douloureuse obsession qui, derrière elle, se dressait, hurlante.