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Le vieux ne mâchait pas les mots, crachant son mépris, éclaboussant cette passion d’une volée de boue.

Pierre s’était levé. S’approchant du père, il lui parla dans les yeux, les poings serrés :

— Taisez-vous, père, taisez-vous, que je vous dis, ça finirait mal !

Du coup, le vieux bondit, toute sa face maigre tiraillée et tordue par la rage :

— Mauvais gueux, mauvais fils, qui oses menacer son père !

Puis toute sa colère tomba dans un revirement soudain, et il supplia son fils, d’une voix mouillée d’attendrissement :

— Reste, mon fi, reste avec ton père qui n’a plus que toi. Pense à la brave femme que tu vas retrouver. Comme si on ne sera pas mieux, à vivre tous ensemble, au lieu d’aller vagabonder sur les grands chemins.

Pierre l’écouta impassible, buté dans son refus, gardant toujours la même froideur calme, muette, insensible. Alors le vieux leva la main dans un geste solennel, plein d’une sorte d’emphase, et il déclara :

— Va-t’en ! que je ne te revoie plus ! je n’ai plus de fils !

Puis il tourna les talons et, suivant le sentier, regagna la barque amarrée sous les saules. Pierre le regarda partir, se contentant de hausser les épaules.

Le soir même, ayant transporté son petit bagage plié dans une serviette, il s’installa à bord de la Reine des eaux.

Les deux jours qui suivirent, le vieux affecta de passer le long du chaland, quand il allait à la pêche. Il marchait, portant la hotte d’osier dont le balancement