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qui emplit les poumons, et fait rêver des clairières où gisent les arbres abattus.

À l’arrière, le fleuve fuyait sous une lumière bleue, infiniment transparente ; les pourpres du couchant flottant à la surface des eaux mêlaient leur splendeur immobile au frémissement continu des herbes fluviales. Une paix infinie descendait sur ce village.

On soupait aussi à bord des autres chalands. Les souffles du vent plus fort faisaient rougeoyer les braises des petits fourneaux, où cuisaient des nourritures. Parfois un charbon, tombant dans l’eau, s’y éteignait avec un long grésillement.

Pierre était resté ce soir-là.

Depuis quelque temps, on devenait plus familier avec lui à bord de la Reine des eaux. Une sorte d’intimité était née, qui avait grandi avec le temps, sans que la fille eût l’air d’y entrer pour rien. Les vieux ne se gênaient plus devant lui, parlant de leurs petites affaires, le considérant comme quelqu’un de la famille. Il avait même une certaine aisance dans ce logis ; il savait la place des menus objets de cuisine, et quand on oubliait de mettre la cuiller à pot sur la table, il allait la chercher dans le tiroir, où on la serrait d’ordinaire, comme s’il eût fait là une chose toute naturelle.

Alors Thérèse souriait, de ce sourire étrange qui lui était habituel.

Le souper s’achevait sans encombre.

La mère Maquet avait posé sur la table un saladier de fromage blanc, dont la masse nageait dans un flot de crème. Le vieux marinier versa du vin à la ronde, penchant le litre, à bras tendu, au bord des verres ; puis il se mit à fumer sa pipe, ayant tassé le tabac dans le