Page:Moselly - Terres lorraines, 1907.djvu/228

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Depuis plusieurs jours déjà, il la voyait à la même place, guettant son passage sur les eaux. Pourquoi avait-elle ce sourire étrange, dès que leurs yeux se rencontraient ? C’était une effrontée, cette fille des bateaux. Puis il songea à autre chose.

La vallée maintenant s’éveillait, emplie de lumière et de mouvement. Une drague au loin se mit à haleter, tandis qu’on entendait le bruit sourd des graviers roulant dans les godets, dont la chaîne remontait des profondeurs du fleuve. Chaque fois qu’un godet arrivait au sommet de la drague, le soleil y accrochait une lueur, rapide comme un éclair.

Pierre était tout à sa besogne. Pourtant, au cours de la journée, le souvenir de la belle fille brune revint à sa pensée. Il la revoyait, inquiétante et énigmatique, allongée sur le pont du chaland, promenant sur les eaux son regard sombre.

Quand il songeait à Marthe, c’était chaque fois, dans son cœur, l’éveil d’une tendresse calme, qui l’enveloppait.

Pourtant l’image de l’absente se faisait peu à peu plus imprécise et plus lointaine, dans le tumulte des sensations neuves qui l’entouraient, dans le désarroi des désirs inavoués qui s’agitaient en lui.

Il était bien heureux sans doute. Pourtant quelque chose en lui s’attristait et persistait à rêver une vie différente. Parfois il avait peine à se rappeler ses traits, comme s’il s’était fait un grand trou dans sa mémoire. En vain fermait-il ses yeux, la chère image