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gées de convives attablés. Une armée de servantes, de marmitons se démenait sous les ordres de Jean Balland, un ancien valet de chambre qui avait servi dans le beau monde, et qu’on allait chercher dans les grandes occasions, parce qu’il savait les usages ; il allait, glissant sans bruit sur la pointe de ses escarpins, la serviette à l’épaule, grave, cérémonieux, muet, veillant à l’ordonnance du festin.

Au dehors le grand soleil de midi tombait sur les champs. Les arbres fruitiers rayaient l’air bleu de leurs branches noueuses, et les seigles déjà grands, ondulant sous la lumière, se creusaient de frissons d’argent. Tous ces paysans étaient étonnés de se trouver assis à une table, par une belle journée, mais les vignes étaient bêchées, on avait un moment de répit avant les travaux de la moisson.

Quand on eut mangé le bœuf bouilli, on servit des quartiers de veau, des oies en daube, des fricassées de lapin et de poulet : de quoi nourrir un village pendant des semaines. On apportait aussi de grands brochets de la Moselle, des bêtes superbes au museau plat, couchées sur des lits de cerfeuil, dans des vaisselles gigantesques. Leur apparition soulevait une clameur d’étonnement. Sur la table était présenté le dessert, des babas et des brioches monumentales, où de petites mariées de porcelaine blanche tremblaient au bout d’un fil.

On mangeait, on engouffrait, et les conversations allaient leur train. Des vieux qui n’avaient jamais contenté leur faim se rassasiaient. Un journalier surtout, un homme tout cassé et tout blanc, remuait ses mâchoires édentées avec lenteur, comme un bœuf à sa crèche, et