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à cette heure. Ça ne les détournerait pas, et ils lui rendraient service.

Il embarqua dans la nacelle, qui vacilla. Marthe effrayée se jeta contre Pierre, dans un mouvement instinctif. On partit. À genoux à l’avant, Jean-Baptiste relevait le cordeau qu’il dévidait d’un mouvement continu de ses deux mains. Marthe, amusée, se penchait pour mieux voir.

Le cordeau remontait à vide, les hameçons étant dégarnis de leurs appâts.

— Attention, fit Jean-Baptiste, ça toque !

Il tirait avec une lenteur prudente sur la cordelette qui se tendait, et fouettait l’eau en tous sens, suivant les mouvements de la bête capturée, qui se débattait.

Et ils virent un large éclair blanc, qui décrivait des courbes entre deux eaux.

Jean-Baptiste hâla la prise.

C’était un gros brochet, moins gros pourtant qu’on ne l’aurait cru, à en juger par sa force et les secousses terribles qu’il donnait à la cordelette. Mais c’était tout de même une belle pièce. Il sautait sur le fond de la barque, parmi les avirons et les crocs, se débattant dans les soubresauts de l’agonie ; ses ouïes palpitaient, s’ouvraient toutes grandes, et parfois il béait largement la gueule, une gueule immense garnie de dents pointues, où Marthe aurait pu enfoncer la pointe de son soulier, et il s’épuisait en efforts impuissants, étouffant dans l’air mortel.

Ce fut la seule pièce que retira Jean-Baptiste. Alors il proposa un marché aux deux pêcheurs. Il n’allait pas s’embarrasser pour si peu de chose. Si le cœur leur en disait, il leur céderait le poisson pour qua-