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Les coups de vent menaçaient d’éteindre la flamme du quinquet, qui montait, toute bleue, le long du verre.

Il fallut fermer la fenêtre.

L’assistance était un peu soûle ; c’était le moment des chansons.

Pierre, qui s’était levé, son large chapeau de feutre toujours campé sur l’oreille, réclama le silence, et les bras tendus dans des gestes emphatiques et maladroits, il chanta d’une voix forte une romance patriotique.

C’était à Strasbourg, par une nuit d’orage, alors que minuit sonne dans la rafale et que la patrouille allemande fait sonner ses bottes sur le pavé. Une voix de bronze montait dans le fracas du tonnerre, et la statue du général Kléber clamait sa stupeur, son indignation, et l’espoir d’une revanche prochaine :

Je ne vois plus dans l’air flotter les trois couleurs.
Je n’entends plus chanter la vieille Marseillaise.

Ils reprenaient le refrain en chœur. Leur attendrissement d’ivrognes s’exaltait jusqu’au lyrisme patriotique. Un frisson passa dans l’auditoire ; l’âme de la terre lorraine, pantelante, déchirée, piétinée par les invasions depuis les temps les plus lointains de l’histoire, vibrait confusément en eux. Les jeunes avaient grandi à l’école, entretenus dans ces souvenirs, nourris de littérature patriotique, élevés dans la religion de la guerre. Mais les vieux, qui se rappelaient les horreurs de l’invasion, le bétail enlevé et les fermes pillées, le pullulement des Saxons et des Bavarois, secouaient tristement la tête et souhaitaient tout haut qu’on ne revît jamais de pareilles horreurs.

Pierre avait eu du succès pour sa chanson. Il se