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peines, et que cette ribote cachait un besoin de s’étourdir.

On eût dit qu’il voulait se venger sur lui-même, d’un de ces gros chagrins, dont rien ne nous console.

Il y a comme cela, dans les pays lorrains, un certain nombre d’ivrognes et de piliers de café, qui mènent la mauvaise vie contre leur gré, et parce qu’ils portent lamentablement la faute d’un autre. Maris trompés, pères dont le fils a fait un mauvais coup ! Et comme le sentiment de l’honneur est singulièrement vivace, ils se terrent dans l’ivresse comme dans un trou. Ils cherchent dans l’eau-de-vie et dans le vin l’audace qui leur manque. On dirait que le ressort de leur vie s’est brisé subitement, et ils ne sont plus que des choses inertes, molles, avachies qui traînent sur les tables d’auberge. De temps à autre, une allusion à leur malheur leur fait lever les yeux, et on y lit une stupeur et une morne résignation. Ceux-là mènent une vie misérable, et leur honte s’ajoute à celle de leur race. Ceux-là aussi ont dans leur ivresse de longs silences, des rêveries douloureuses, et on les plaint, tout en les méprisant.

Pierre allait-il devenir un de ceux-là ?

Quand on essayait de faire allusion à sa conduite, devant le vieux Dominique, il répondait brusquement :

— Faut bien que jeunesse se passe.

Et cela d’un ton si colère, qu’on n’avait pas envie d’y revenir. Car il était fier, il gardait tout pour lui, ne voulant pas donner aux autres le spectacle de sa douleur.

Depuis quelque temps, Pierre allait au café tous les soirs.