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s’était évanoui : les combats millénaires de l’humanité n’avaient abouti qu’à ce chaos sordide, absurde et laid ; il me paraissait que dans l’immédiat le futur dût aggraver l’ensemble des maux présents en balayant les derniers vestiges du temps où l’immonde grisaille de la civilisation n’avait pas encore placé l’univers sous sa coupe. Tristes perspectives, assurément ! Et si je puis parler un instant de moi en tant que personne, et non plus comme le représentant d’un groupe donné, combien ne devaient-elles pas particulièrement assombrir un homme de mon tempérament, indifférent à la métaphysique et à la religion autant qu’à l’analyse scientifique, mais dont l’amour pour la terre et la vie qu’elle héberge est aussi vif que sa passion pour l’histoire de l’humanité ! Quoi ! fallait-il que tout finît par un comptoir juché sur un crassier, avec le salon de Podsnap se profilant à l’horizon et un comité libéral distribuant aux riches du champagne et de la margarine aux pauvres en quantités propres à satisfaire tout le monde, même si le plaisir des yeux a disparu de l’univers et que Huxley dût prendre la place d’Homère ? Et pourtant, croyez-moi : quant au plus profond de moi-même je m’évertuais de toutes mes forces à scruter l’avenir, c’était bien là le spectacle qui s’offrait à mes yeux, et, pour autant que je pouvais en juger, l’on ne se bousculait point pour juger bon de se battre et éviter que la civilisation ne connût pareille conclusion. Ainsi donc étais-je promis à une fin de vie joliment pessimiste, si l’idée ne m’était soudain venue qu’au sein de toute cette infection de la civilisation commençaient à germer les graines d’un grand changement, ce que nous autres appelons la Révolution Sociale. Pareille découverte changea pour moi la face du monde : et je n’eus, pour devenir Socialiste, qu’à prendre en marche le train du mouvement pratique, ce que j’ai essayé de faire, comme je l’ai dit précédemment, du mieux que j’ai pu.

Je résume : l’étude de l’histoire, l’amour et la pratique des arts m’ont imposé de prendre en haine une civilisation qui ne manquerait pas, si les choses devaient rester en l’état, de faire de notre histoire un tissu d’absurdités et des arts une collection de curiosités anciennes, sans véritable rapport avec la vie du temps présent.

Mais, plus chanceux que bien d’autres dont la sensibilité n’était pas moins artistique, je dus à la conscience de la révolution en gestation au sein de notre odieuse société moderne, à la fois de ne m’être pas figé en un simple détracteur du « progrès » et de n’avoir englouti