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Si c’est donc mon idéal qui m’obligea à embrasser le Socialisme pratique, d’où tirai-je la nécessité de concevoir un idéal ? C’est là qu’intervient ce que j’ai dit au début, à savoir que je représente, à travers ces lignes, une certaine façon de voir les choses.

Avant l’essor du Socialisme moderne, la quasi-totalité des gens intelligents étaient, ou se disaient, très largement satisfaits de la civilisation de notre siècle. Ils étaient satisfaits, je dis bien, dans leur quasi-totalité, et ne voyaient rien d’autre à faire que de perfectionner ladite civilisation en la débarrassant de quelques ridicules survivances des époques barbares. En un mot, c’était l’état d’esprit Libéral, état naturel à nos bourgeois modernes et prospères, qui n’ont de fait plus rien à désirer sur le plan du progrès mécanique, et qui ne souhaitent qu’une chose : que le Socialisme les laisse libres de jouir en paix de leur vie d’abondance.

Mais à côté de ces personnes satisfaits, il s’en trouvait d’autres qui ne l’étaient pas vraiment : des gens à qui le triomphe de la civilisation inspirait un vague sentiment de répugnance, mais que le pouvoir illimité du Libéralisme réduisait au silence. Enfin, on trouvait une poignée d’hommes en état de révolte ouverte contre ledit Libéralisme – une poignée… disons deux, Carlyle et Ruskin. C’est Ruskin, avant que je n’en vienne au Socialisme pratique, qui fut mon maître et me mit sur le chemin de l’idéal dont j’ai parlé précédemment. Et je ne puis, rétrospectivement, m’empêcher de dire au passage à quel point le monde d’il y a vingt ans eût été mortellement ennuyeux, sans Ruskin ! C’est grâce à lui que j’ai appris à donner forme à mon mécontentement, qui, je dois le dire, n’était rien moins que vague. Sans parler du désir de produire de belles choses, la passion dominante de ma vie a toujours été la haine de la civilisation moderne. A présent que l’espoir de la voir anéantie me dicte ma pensée, que dirai-je de son effondrement au profit du Socialisme ?

Que dirai-je de sa maîtrise du pouvoir mécanique et du gaspillage qu’elle en fait ? Que dirai-je du dénuement où vit la communauté de son peuple et de la richesse où vivent en son sein les ennemis de cette communauté ? Que dire de la stupéfiante organisation qu’elle a mise sur pied… pour une vie de pure misère ! Que dire de son mépris des plaisirs simples que, n’était son absurde folie, tout le monde pourrait goûter ? Et de sa vulgarité qui, n’ayant pas d’yeux pour voir, a causé la ruine de l’art, seul réconfort assuré du travail humain ? Autant de vérités auxquelles je n’étais pas à l’époque moins sensible qu’aujourd’hui, mais dont j’ignorais les causes. L’espoir qui habitait les temps passés