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pas seulement pour la mémoire des hommes que le poëte agit, et dût-il n’être pas compris il s’en consolerait.

— Pour qui donc, nous dit-on, et pourquoi écrivez-vous ?

— Même si les troupeaux n’existaient pas les prés fleuriraient, parce que c’est leur destin. C’est d’abord pour cette nécessité glorieuse d’accomplir leur destinée que les Poètes écrivent, pour obéir à l’universelle loi de l’expansion naturelle, — aussi pour mériter la Vie Éternelle. Emanations de Dieu, étincelles échappées du Foyer de la Toute-Lumière, ils y retournent. C’est, dis-je, l’universelle loi de la vie : Dieu s’épand de soi par la création pour se résorber en soi par la destruction et de nouveau s’épandre et se résorber de nouveau, et ainsi de toujours à toujours ; c’est l’Analyse et la Synthèse, c’est la révolution des globules du sang de nos veines et des globes de l’Infini, — c’est la révolution des âmes. Elles sont les manifestations extérieures de Dieu qui les émet avec la mission de coopérer, toutes et diversement, à la lumineuse harmonie mundiale ; l’impulsion divine, si elle est obéie, les ramène par une fatalité heureuse à la commune patrie, — les chasse de son orbe, si elle est transgressée, et la nuit s’en accroît. En produisant son œuvre, une âme de poëte ne fait point autre chose que décrire son essentielle courbe radieuse et retourner à Dieu, comme, d’ailleurs, toute autre âme