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Que ton vers soit la bonne aventure
Éparse au vent crispé du matin,
Qui va fleurant la menthe et le thym,
Et tout le reste est littérature.

Il y a longtemps qu’on l’a dit, l’inégalité des vers de La Fontaine, je veux dire le rhythme apparemment inégal de ses vers ne peut paraître une affaire de fantaisie et de caprice qu’à quiconque ignore ce que c’est qu’une Strophe. Enfin il a tous les dons qui désignent le grand Poëte, il a la force qui reste gracieuse, il a l’ingéniosité innée, il a l’esprit lyrique, la science de la composition, le mouvement même, et le sentiment, et l’émotion, tous les dons sauf un seul sans quoi tous les autres mentent : il manque d’une vie intérieure. C’est un charmeur si captieux que tête à tête on ne peut le juger : il séduit et désarme. Le souvenir est plus sévère et révèle le vide affreux de cette âme flottante entre le XVIe et le XVIIIe siècles, ces deux siècles de négation, cette âme sans foi et sans désir de foi, éprise de morale utilitaire et qui nous leurre avec sa fausse pitié. Ouvrez son œuvre[1] : les Contes et les Fables se donnent la réplique et celles-ci nous enseignent comment il faut « s’arranger » pour vivre dans le goût de

  1. Je n’oublie ni son théâtre ni ses poésies lyriques, mais cette partie de son œuvre n’est pas celle qui a le plus compté pour sa gloire : parce que c’est en effet surtout par ses Contes et ses Fables que La Fontaine a contribué à la tache de son siècle.