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PARIS 1913

trouvions là des amis que nous avions connus quelques années plus tôt, à Saint-Brévin.

Le pays est riche de grâce et de verdure : la plaine, qui s’adosse à une colline est traversée d’une « rivière » comme on dit en France, et que révèle une coulée d’herbes folles. La moisson est faite : et les nonnes de blé, les nonnes dorées, les meulettes de gerbes superposées, semblent agenouillées dans les prés. Elles s’inclinent semblables et pieuses, vers la montagne, comme en méditation. À perte de vue, les blés font ainsi, dans les champs, une muette invocation. La moisson rend grâces. Les nonnes sont rangées par groupes : ici, trois par trois : là, sur deux lignes parallèles, en communauté. Elles ont les mains dans leurs larges manches. Au bout d’un peu de temps, quelques-unes se penchent davantage sur le sol ; leur tête se courbe : les voilà presque prosternées. À l’ombre, leur attitude se précise : le soir, le couvent s’enfonce dans la nuit, immobile. La lune dessine dans le ciel pur, sous les yeux des étoiles, les silhouettes recueillies : c’est l’éternité de la prière au Dieu des moissons : le consentement de la pensée devant l’Infini.