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lix
de M. de Montesquieu

à tant de respect pour l’idole de la saveur ; nos courtisans si rampans & si vains ; notre politesse extérieure, & notre mépris réel pour les étrangers, ou notre prédilection affectée pour eux ; la bizarrerie de nos goûts, qui n’a rien au-dessous d’elle, que l’empressement de toute l’Europe à les adopter ; notre dédain barbare pour deux des plus respectables occupations d’un citoyen, le commerce & la magistrature ; nos disputes littéraires si vives & si inutiles ; notre fureur d’écrire avant que de penser, & de juger avant que de connoître. À cette peinture vive, mais sans fiel, il oppose dans l’apologue des Troglodites, le tableau d’un peuple vertueux, devenu sage par le malheur : morceau digne du portique. Ailleurs, il montre la philosophie long-temps étouffée, reparoissant tout-à-coup, regagnant par ses progrès, le temps qu’elle a perdu, pénétrant jusques chez les Russes à la voix d’un génie qui l’appelle ; tandis que, chez d’autres peuples de l’Europe, la superstition, semblable à une atmosphère épaisse, empêche la lumiere qui les environne de toutes parts d’arriver jusqu’à eux. Enfin, par les principes qu’il établit sur la nature des gouvernemens anciens & modernes, il présente le germe de ses idées lumineuses, développées depuis par l’auteur dans son grand ouvrage.