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de l’esprit des Lois,


L’exception à cette regle, est lorsque la constitution de l’état est telle qu’il a besoin d’une magistrature qui ait un pouvoir exorbitant. Telle étoit Rome avec ses dictateurs, telles est Venise avec ses inquisiteurs d’état ; ce sont des magistratures terribles, qui ramenent violemment l’état à la liberté. Mais, d’où vient que ces magistratures se trouvent si différentes dans ces deux républiques ? C’est que Rome défendoit les restes de son aristocratie contre le peuple ; au lieu que Venise se sert de ses inquisiteurs d’état pour maintenir son aristocratie contre les nobles. De-là il suivoit, qu’à Rome la dictature ne devoit durer que peu de temps, parce que le peuple agit par sa fougue & non pas par ses desseins. Il falloit que cette magistrature s’exerçat avec éclat, parce qu’il s’agissoit d’intimider le peuple, & non pas de la punir ; que le dictateur ne fût créé que pour une seule affaire, & n’eût une autorité sans bornes qu’à raison de cette affaire, parce qu’il étoit toujours créé pour un cas imprévu. À Venise, au contraire, il faut une magistrature permanente : c’est-là que les desseins peuvent être commencés,