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terrogé & jugé les nations & les hommes célebres qui n’existent plus aujourd’hui que dans les annales du monde. Ce fut ainsi qu’il s’éleva par degrés au plus beau titre qu’un sage puisse mériter, celui de législateur des nations.

S’il étoit animé par l’importance de la matiere, il étoit effrayé en même temps par son étendue : il l’abandonna, & y revint à plusieurs reprises. Il sentit plus d’une fois, comme il l’avoue lui-même, tomber les mains paternelles. Encouragé enfin par ses amis, il ramassa toutes ses forces, & donna l'Esprit des loix.

Dans cet important ouvrage, monsieur de Montesquieu, sans s’appesantir, à l’exemple de ceux qui l’ont précédé, sur des discussions métaphyliques relatives à l’homme supposé dans un état d’abstraction ; sans se borner, comme d’autres, à considérer certains peuples dans quelques relations ou circonstances particulieres, envisage les habitans de l’univers dans l’état réel où ils sont, & dans tous les rapports qu’ils peuvent avoir entre eux. La plupart des autres écrivains en ce genre sont presque toujours, ou de simples moralistes, ou de simples jurisconsultes, ou même quelquefois de simples théologiens. Pour lui, l’homme de tous les pays & de toutes les nations, il s’occupe moins de ce que le devoir exige de nous, que des moyens par lelquels on peut nous obliger de le remplir ; de la perfection métaphysique des loix, que de celle dont la nature humaine les rend suspectibles ; des loix qu’on a faites que de celles qu’on a dû faire ; des loix d’un peuple particulier, que de celles de tous les peuples. Ainsi, en se comparant lui-même à ceux qui ont couru avant lui cette grande & noble carriere, il a pu dire, comme le Correge, quand il eut vu les ouvrages de ses rivaux, Et moi aussi, je suis peintre[1].

  1. On trouvera, à la suite de cet éloge, l’analyse de l’Esprit des loix, par le même auteur.