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LIVRE VI, CHAP. IX.

Il seroit aisé de prouver que, dans tous ou presque tous les États d’Europe, les peines ont diminué ou augmenté à mesure qu’on s’est plus approché ou plus éloigné de la liberté.

Dans les pays despotiques on est si malheureux, que l'on y craint plus la mort qu’on ne regrette la vie ; les supplices y doivent donc être plus rigoureux. Dans les États modérés, on craint plus de perdre la vie qu’on ne redoute la mort eu elle-même ; les supplices qui ôtent simplement la vie y sont donc suffisants.

Les hommes extrêmement heureux, et les hommes extrêmement malheureux [1], sont également portés à la dureté ; témoin les moines et les conquérants. Il n’y a que la médiocrité et le mélange de la bonne et de la mauvaise fortune, qui donnent de la douceur et de la pitié.

Ce que l’on voit dans les hommes en particulier se trouve dans les diverses nations. Chez les peuples sauvages qui mènent une vie très- dure, et chez les peuples des gouvernements despotiques où il n’y a qu’un homme exorbitamment favorisé de la fortune, tandis que tout le reste en est outragé, on est également cruel. La douceur règne dans les gouvernements modérés.

Lorsque nous lisons, dans les histoires, les exemples de la justice atroce des sultans, nous sentons avec une espèce de douleur les maux de la nature humaine.

Dans les gouvernements modérés, tout, pour un bon législateur, peut servir à former des peines. N’est-il pas bien extraordinaire qu’à Sparte une des principales fût

  1. A. B. Les hommes extrêmement heureux et extrêmement malheureux, etc.