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LIVRE V, CHAP. VIII.


quand ils lui font partager tous leurs plaisirs, il oublie sa foiblesse.

Chaque gouvernement a sa nature et son principe. Il ne faut donc pas que l’aristocratie prenne la nature et le principe de la monarchie ; ce qui arriveroit, si les nobles avoient quelques prérogatives personnelles et particulières, distinctes de celles de leur corps. Les privilèges doivent être pour le sénat, et le simple respect pour les sénateurs.

Il y a deux sources principales de désordres dans les États aristocratiques : l'inégalité extrême entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés ; et la même inégalité entre les différents membres du corps qui gouverne. De ces deux inégalités résultent des haines et des jalousies que les lois doivent prévenir ou arrêter.

La première inégalité se trouve principalement lorsque les privilèges des principaux ne sont honorables que parce qu’ils sont honteux au peuple. Telle fut à Rome la loi qui défendoît aux patriciens de s’unir par mariage aux plébéiens [1] ; ce qui n’avoit d’autre effet que de rendre, d’un côté, les patriciens plus superbes, et de l’autre plus odieux. Il faut voir les avantages qu’en tirèrent les tribuns dans leurs harangues [2].

Cette inégalité se trouvera encore, si la condition des citoyens est différente par rapport aux subsides ; ce qui arrive de quatre manières : lorsque les nobles se donnent le privilège de n’en point payer ; lorsqu’ils font des fraudes pour s’en exempter [3] ; lorsqu’ils les appellent à eux, sous

  1. Elle fut mise par les décemvirs dans les deux dernières tables. Voyez Denys d'Halicarnasse, liv. X. (M.)
  2. Cette dernière phrase n'est pas dans la première édition.
  3. Comme dans quelques aristocraties de nos jours. Rien n’affoiblit tant l’État. (M.)