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LE TEMPLE DE GNIDE.


lante des dépouilles de ses amants. Va, dit la déesse, tu te trompes, si tu crois faire la gloire de mon empire : ta beauté fait voir qu’il y a des plaisirs ; mais elle ne les donne pas. Ton cœur est comme le fer ; et, quand tu verrois mon fils même, tu ne saurois l’aimer. Va prodiguer tes faveurs aux hommes lâches qui les demandent et qui s’en dégoûtent ; va leur montrer des charmes que l’on voit soudain, et que l’on perd pour toujours. Tu n’es propre qu’à faire mépriser ma puissance.

Quelque temps après vint un homme riche, qui levoit les tributs du roi de Lydie. Tu me demandes, dit la déesse, une chose que je ne saurois faire, quoique je sois la déesse de l’amour. Tu achètes des beautés, pour les aimer ; mais tu ne les aimes pas, parce que tu les achètes. Tes trésors ne te seront point inutiles[1] ; ils te serviront à te dégoûter de tout ce qu’il y a de plus charmant dans la nature.

Un jeune homme de Doride, nommé Aristée, se présenta ensuite : il avoit vu à Gnide la charmante Camille ; il en étoit éperdument amoureux : il sentoit tout l’excès de son amour ; et il venoit demander à Vénus qu’il pût l’aimer davantage.

Je connois ton cœur, lui dit la déesse : tu sais aimer. J’ai trouvé Camille digne de toi : j’aurois pu la donner au plus grand roi du monde ; mais les rois la méritent moins que les bergers.

Je parus ensuite avec Thémire. La déesse me dit : il n’y a point, dans mon empire, de mortel qui me soit plus soumis que toi. Mais que veux-tu que je fasse ? Je ne

  1. A. Tu achètes tes beautés… tes trésors ne seront point inutiles, ils serviront, etc.