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LE TEMPLE DE GNIDE.


Parle de nos amours, ou laisse-moi parler
Si ton cœur n’a rien à m’apprendre.

Quelquefois elle dit : Aristée ! aime-moi ! —
Oui, je t’aime. — Eh ! comment ? — En vérité, je t’aime
Comme le premier jour où tu reçus ma foi :
Je ne puis comparer l’amour que j’ai pour toi,
Qu’à l’amour que j’eus pour toi-même.
Camille, une autre fois, me dit avec douleur :
Tu parais triste ! — Hélas ! je suis sûr de ton cœur,
Lui dis-je : et cependant je sens couler mes larmes !
Ne me retire pas de ma douce langueur !
Laisse-moi soupirer ma peine et mon bonheur !
Pour les tendres amants, la tristesse a des charmes.
Les transports de l’amour sont trop impétueux ;
L’âme, dans son ivresse, est comme anéantie :
Mais je jouis en paix de ma mélancolie :
Eh ! qu’importe mes pleurs, puisque je suis heureux !

J’entends louer Camille, et fier d’être aimé d’elle,
L’éloge que j’entends me semble être le mien :
Quand un berger l’écoute, elle parle si bien,
Que chaque mot lui prête une grâce nouvelle ;
Mais je voudrais qu’alors Camille ne dît rien.
A-t-elle pour quelque autre une amitié légère ?
Je voudrais en être l’objet :
Bientôt je me dis en secret,
Que je ne serais plus celui qu’elle préfère.

Aux discours des amants n’ajoute point de foi !
Ils diront que dans la nature
Il n’est rien d’aussi beau, d’aussi parfait que toi :
Ils diront vrai, Camille, et comme eux je le jure !
Ils te diront encor qu’ils t’aiment. Je les croi !
Mais si quelqu’un disait qu’il t’aime autant que moi.
J’atteste ici les dieux que c’est une imposture.

Quand je la vois de loin, je m’agite soudain :