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PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.


sentant au lecteur un idéal chimérique, en le dégoûtant de la réalité, ils lui faussent l’esprit et lui énervent le cœur.

Dans les dernières années de sa vie, Montesquieu eut le désir de retoucher aux Lettres persanes et d’en effacer ce qu’il appelle quelques juvenilia ; cependant il ne fit que des corrections insignifiantes à l’édition qu’il donna en 1754. S’était-il réservé de soumettre à une révision plus sévère cette œuvre de sa jeunesse ? Il est malaisé d’en douter quand on lit dans les écrits du temps le récit de la mort de Montesquieu. On y voit que le père Routh, jésuite irlandais, confesseur de l’illustre mourant, insista à outrance pour que ce dernier lui remît les corrections qu’il avait faites aux Lettres persanes. Nous savons aussi, par une lettre de la duchesse d’Aiguillon, que ce fut à cette amie fidèle que Montesquieu remit son manuscrit, en lui disant : « Je veux tout sacrifier à la raison et à la religion, mais rien à la Société ; [1] consultez avec mes amis et décidez si ceci doit paraître. »

Le manuscrit n’a jamais été publié. A-t-il disparu ? Est-il resté dans la famille qui conserve de nombreux papiers de Montesquieu ? Je l’ignore. Il serait sans doute intéressant de connaître la dernière pensée de l’auteur ; mais une fois imprimé, le livre appartient au monde entier ; les véritables Lettres persanes seront toujours celles que Montesquieu a écrites dans le feu de sa jeunesse. Ce sont elles que la postérité a adoptées, et dont elle aime jusqu’aux défauts.

Le texte que nous donnons est celui de l’édition des œuvres complètes, publiées en 1758 par Richer, avocat au parlement, d’après les manuscrits communiqués par la famille et les changements laissés par l’auteur lui-même. C’est le texte généralement adopté. Nous y avons joint les variantes de l’édition Brunel, d’Amsterdam 1721, que nous avons soigneusement collationnée. Nous avons aussi emprunté quelques variantes des deux éditions de Cologne à l’édition donnée cette année même par M. André Lefèvre.

Ces variantes ne manquent pas d’intérêt ; elles nous montrent le soin que prenait l’auteur pour donner à son langage plus de précision et de fermeté ; mais le fond des idées n’a pas changé.

  1. C’est-à-dire aux jésuites.