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PRÉFACE DE L'ÉDITEUR.


raison, disait-il, qu’on intriguait à Versailles et qu’on s’amusait à Paris. [1] C’est là qu’il se lia avec M. de Maurepas et le comte de Caylus. On prétend même qu’il fut un des collaborateurs des Étrennes de la Saint-Jean, livre plus grossier qu’ingénieux. [2] Reçu chez Mme de Tencin, vivant familièrement avec les gens de lettres, on commença à parler de lui pour l’Académie. Le Temple de Gnide, composé pour plaire à une princesse du sang, Mlle de Clermont, lui valut des amitiés puissantes, auxquelles on n’avait rien à refuser. Il se présenta, dit-on, à l’Académie en 1725 et fut élu. [3] Fontenelle, alors directeur de la compagnie, avait déjà écrit son discours, et l’avait remis au récipiendaire, lorsqu’on fit valoir un article des statuts, article encore en vigueur aujourd’hui, qui ne permet d’élire que des membres résidant à Paris. L’élection ne fut pas validée. Montesquieu, qui n’avait qu’un goût médiocre pour la magistrature, vendit sa charge l’année suivante ; il s’établit à Paris, et devint l’hôte assidu de la marquise de Lambert, femme d’esprit fort répandue, et dans le salon de laquelle on préparait, dit-on, les candidatures académiques. Semblable en ce point au bon roi Numa, l’Académie française a toujours une Égérie ; c’est dans ces belles mains qu’elle remet le dépôt de sa souveraineté.

En 1727, à la mort de M. de Sacy, traducteur de Pline le jeune, Montesquieu se présenta de nouveau à l’Académie. Il était soutenu par l’abbé Mongault, ancien précepteur du duc d’Orléans, et, à ce titre, fort influent dans la compagnie. L’élection allait de soi, le président n’avait pas de concurrent, [4] quand tout à coup on rencontra une opposition imprévue. Il ne faut pas oublier qu’au XVIIIe siècle, on n’entrait à l’Académie qu’avec l’agrément du roi, et qu’en 1727 le premier ministre était un cardinal. Ce cardinal, il est vrai, était Fleury, qu’on ne pouvait

  1. Lettres de L.-B. Lauraguais à Mme ***, Paris, 1802, p. 192. « Je hais Versailles, disait Montesquieu, parce que tout le monde y est petit ; j’aime Paris, parce que tout le monde y est grand. » Pensées diverses.
  2. Lauraguais, ibid., p. 212. La première édition des Étrennes de la Saint-Jean est de 1742, à Troyes, chez Oudot. La grossièreté du livre, et le témoignage de Moncrif, ne permettent pas d’attribuer à Montesquieu une part quelconque dans ces niaiseries.
  3. J’emprunte ces détails à la curieuse brochure de M. Vian : Montesquieu, sa réception à l’Académie et la deuxième édition des Lettres persanes, Paris, 1869.
  4. Mathieu Marais, Journal et Mémoires, t. III, p. 504.