Page:Montesquieu - Œuvres complètes, éd. Laboulaye, t1.djvu/390

Cette page n’a pas encore été corrigée
368
LETTRES PERSANES.

Les pays protestants doivent être, et sont réellement plus peuplés que les catholiques ; d’où il suit, premièrement, que les tributs y sont plus considérables parce qu’ils augmentent à proportion du nombre de ceux [1] qui les payent ; secondement, que les terres y sont mieux cultivées ; enfin, que le commerce y fleurit davantage, parce qu’il y a plus de gens qui ont une fortune à faire ; et qu’avec plus de besoins, on y a plus de ressources pour les remplir. Quand il n’y a que le nombre de gens suffisant pour la culture des terres, il faut que le commerce périsse ; et, lorsqu’il n’y a que celui qui est nécessaire pour entretenir le commerce, il faut que la culture des terres manque ; c’est-à-dire, il faut que tous les deux tombent en même temps, parce que l’on ne s’attache jamais à l’un, que ce ne soit aux dépens de l’autre.

Quant aux pays catholiques, non-seulement la culture des terres y est abandonnée, mais même l’industrie y est pernicieuse ; elle ne consiste qu’à apprendre cinq ou six mots d’une langue morte. Dès qu’un homme a cette provision par devers lui, il ne doit plus s’embarrasser de sa fortune ; il trouve dans le cloître une vie tranquille, qui, dans le monde, lui aurait coûté des sueurs et des peines.

Ce n’est pas tout. Les dervis ont en leurs mains presque toutes les richesses de l’État ; c’est une société de gens avares qui prennent toujours et ne rendent jamais ; ils accumulent sans cesse des revenus pour acquérir des capitaux. Tant de richesses tombent, pour ainsi dire, en paralysie : plus de circulation, plus de commerce, plus d’arts, plus de manufactures.

  1. A. C. A proportion de ceux.