Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/94

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qui de gayeté de cœur se presentent à querelles si disproportionnees. Car on ne prend pas querelle particuliere auec vn Prince, pour marcher contre luy ouuertement et courageusement, pour son honneur, et selon son deuoir : s’il n’aime vn tel personnage, il fait mieux, il l’estime. Et notamment la cause des loix, et defence de l’ancien estat, a tousiours cela, que ceux mesmes qui pour leur dessein particulier le troublent, en excusent les defenseurs, s’ils ne les honorent.Mais il ne faut pas appeller deuoir, comme nous faisons tous les iours, vne aigreur et vne intestine aspreté, qui naist de l’interest et passion priuee, ny courage, vne conduitte traistresse et malitieuse. Ils nomment zele, leur propension vers la malignité, et violence. Ce n’est pas la cause qui les eschauffe, c’est leur interest. Ils attisent la guerre, non par ce qu’elle est iuste : mais par ce que c’est guerre.Rien n’empesche qu’on ne se puisse comporter commodément entre des hommes qui se sont ennemis, et loyalement conduisez vous y d’vne, sinon par tout esgale affection (car elle peut souffrir differentes mesures) au moins temperee, et qui ne vous engage tant à l’vn, qu’il puisse tout requerir de vous. Et vous contentez aussi d’vne moienne mesure de leur grace et de couler en eau trouble, sans y vouloir pescher.L’autre maniere de s’offrir de toute sa force aux vns et aux autres, a encore moins de prudence que de conscience. Celuy enuers qui vous en trahissez vn, duquel vous estes pareillement bien venu : sçait-il pas, que de soy vous en faites autant à son tour ? Il vous tient pour vn meschant homme : ce pendant il vous oit, et tire de vous, et fait ses affaires de vostre desloyauté. Car les hommes doubles sont vtiles, en ce qu’ils apportent mais il se faut garder, qu’ils n’emportent que le moins qu’on peut.Ie ne dis rien à l’vn, que ie ne puisse dire à l’autre, à son heure, l’accent seulement vn peu changé : et ne rapporte que les choses ou indifferentes, ou cogneuës, ou qui seruent en commun. Il n’y a point d’vtilité, pour laquelle ie me permette de leur mentir. Ce qui a esté fié à mon silence, ie le cele religieusement : mais ie prens à celer