Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/92

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C’est ce qui me faict marcher par tout, la teste haute, le visage, et le cœur ouuert. A la verité, et ne crains point de l’aduouer, ie porterois facilement au besoing, vne chandelle à Sainct Michel, l’autre à son serpent, suiuant le dessein de la vieille. Ie suiuray le bon party iusques au feu, mais exclusiuement si ie puis. Que Montaigne s’engouffre quant et la ruyne publique, si besoing est : mais s’il n’est pas besoing, ie sçauray bon gré à la Fortune qu’il se sauue : et autant que mon deuoir me donne de corde, ie l’employe à sa conseruation. Fut-ce pas Atticus, lequel se tenant au iuste party, et au party qui perdit, se sauua par sa moderation, en cet vniuersel naufrage du monde, parmy tant de mutations et diuersitez ? Aux hommes, comme luy priuez, il est plus aisé. Et en telle sorte de besongne, ie trouue qu’on peut iustement n’estre pas ambitieux à s’ingerer et conuier soy-mesmes.De se tenir chancelant et mestis, de tenir son affection immobile, et sans inclination aux troubles de son pays, et en vne diuision publique, ie ne le trouue ny beau, ny honneste : Ea non media, sed nulla via est, velut euentum expectantium, quò fortunæ consilia sua applicent. Cela peut estre permis enuers les affaires des voysins et Gelon tyran de Syracuse, suspendoit ainsi son inclination en la guerre des Barbares contre les Grecs, tenant vne Ambassade à Delphes, auec des presents pour estre en eschauguette, à veoir de quel costé tomberoit la fortune, et prendre l’occasion à poinct, pour le concilier aux victorieux. Ce seroit vne espece de trahison, de le faire aux propres et domestiques affaires, ausquels necessairement il faut prendre party : mais de ne s’embesongner point, à homme qui n’a ny charge, ny commandement exprez qui le presse, ie le trouue plus excusable (et si ne practique pour moy cette excuse) qu’aux guerres estrangeres : desquelles pourtant, selon nos loix, ne s’empesche qui ne veut. Toutesfois ceux encore qui s’y engagent tout à faict, le peuuent, auec tel ordre et attrempance, que l’orage debura couler par dessus leur teste, sans offence. N’auions nous pas raison de l’esperer ainsi du feu Euesque d’Orleans, sieur de Moruilliers ? Et i’en cognois entre ceux qui y ouurent valeureusement à cette heure, de mœurs ou si equables, ou si douces, qu’ils seront, pour demeurer debout, quelque iniurieuse mutation et cheute que le ciel nous appreste. Ie tiens que c’est aux Roys proprement, de s’animer contre les Roys : et me moque de ces esprits,