Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/84

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nement des medecins : ie pourray tomber en cette resuerie : ie ne me puis respondre de ma fermeté future : mais lors aussi si quelqu’vn s’enquiert à moy, comment ie me porte, ie luy pourray dire, comme Pericles : Vous le pouuez iuger par là, montrant ma main chargée de six dragmes d’opiate : ce sera vn bien euident signe d’vne maladie violente : i’auray mon iugement merueilleusement desmanché. Si l’impatience et la frayeur gaignent cela sur moy, on en pourra conclure vne bien aspre fiéure en mon ame.I’ay pris la peine de plaider cette cause, que i’entens assez mal, pour appuyer vn peu et conforter la propension naturelle, contre les drogues, et pratique de nostre medecine : qui s’est deriuée en moy, par mes ancestres à fin que ce ne fust pas seulement vne inclination stupide et temeraire, et qu’elle eust vn peu plus de forme. Aussi que ceux qui me voyent si ferme contre les exhortemens et menaces, qu’on me fait, quand mes maladies me pressent, ne pensent pas que ce soit simple opiniastreté : qu’il y ait quelqu’vn si fascheux, qui iuge encore, que ce soit quelque esguillon de gloire. Ce seroit vn desir bien assené, de vouloir tirer honneur d’vne action, qui m’est commune, auec mon iardinier et mon muletier. Certes ie n’ay point le cœur si enflé, ny si venteux, qu’vn plaisir solide, charnu, et moelleux, comme la santé, ie l’allasse eschanger, pour vn plaisir imaginaire, spirituel, et aëré. La gloire, voire celle des quatre fils Aymon, est trop cher achetée à vn homme de mon humeur, si elle luy couste trois bons accez de colique. La santé de par Dieu ! Ceux qui ayment nostre medecine, peuuent auoir aussi leurs considerations bonnes, grandes, et fortes : ie ne hay point les fantasies contraires aux miennes. Il s’en faut tant que ie m’effarouche, de voir de la discordance de mes iugemens à ceux d’autruy, et que ie me rende incompatible à la société des hommes, pour estre d’autre sens et party que le mien : qu’au rebours, (comme c’est la plus generale façon que Nature aye suiuy, que la varieté, et plus aux esprits, qu’aux corps d’autant qu’ils sont de substance plus souple et susceptible de formes) ie trouue bien plus rare, de voir conuenir nos humeurs, et nos desseins. Et ne fut iamais au monde, deux opinions pareilles, non plus que deux poils, ou deux grains. Leur plus vniuerselle qualité, c’est la diuersité.

fin dv second livre.