Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/80

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facultez, que vous auez pratiquées et recueillies, Madame, auec beaucoup plus d’honneur et de courtoisie qu’elles ne meritent, ie les veux loger, mais sans alteration et changement, en vn corps solide, qui puisse durer quelques années, ou quelques iours apres moy, où vous les retrouuerez, quand il vous plaira vous en refreschir la memoire, sans prendre autrement la peine de vous en souuenir : aussi ne le vallent elles pas. Ie desire que vous continuez en moy, la faueur de vostre amitié, par ces mesmes qualitez, par le moyen desquelles, elle a esté produite.Ie ne cherche aucunement qu’on m’ayme et estime mieux, mort, que viuant. L’humeur de Tybere est ridicule, et commune pourtant, qui auoit plus de soin d’estendre sa renommée à l’aduenir, qu’il n’auoit de se rendre estimable et aggreable aux hommes de son temps. Si i’estoy de ceux, à qui le monde peut deuoir loüange, ie l’en quitteroy pour la moitié, et qu’il me la payast d’auance. Qu’elle se hastast et ammoncelast tout autour de moy, plus espesse qu’alongée, plus pleine que durable. Et qu’elle s’euanouit hardiment, quand et ma cognoissance, et quand ce doux son ne touchera plus mes oreilles. Ce seroit vne sotte humeur, d’aller à cet’heure, que ie suis prest d’abandonner le commerce des hommes, me produire à eux, par vne nouuelle recommandation. Ie ne fay nulle recepte des biens que ie n’ay peu employer à l’vsage de ma vie. Quel que ie soye, ie le veux estre ailleurs qu’en papier. Mon art et mon industrie ont esté employez à me faire valoir moy-mesme. Mes estudes, à m’apprendre à faire, non pas à escrire. I’ay mis tous mes efforts à former ma vie. Voyla mon mestier et mon ouurage. Je suis moins faiseur de liures, que de nulle autre besongne. l’ay desiré de la suffisance, pour le seruice de mes commoditez presentes et essentielles, non pour en faire magasin, et reserue à mes heritiers. Qui a de la valeur, si le face cognoistre en ses mœurs, en ses propos ordinaires à traicter l’a— mour, ou des querelles, au ieu, au lict, à la table, à la conduicte de ses affaires, à son œconomie. Ceux que ie voy faire des bons liures sous des meschantes chausses, eussent premierement faict leurs chausses, s’ils m’en eussent creu. Demandez à vn Spartiate, s’il ayme mieux estre bon rhetoricien que bon soldat : non pas moy, que bon cuisinier, si ie n’auoy qui m’en seruist. Mon Dieu, Madame, que ie haïrois vne telle recommandation, d’estre habile homme par escrit, et estre vn homme de neant, et vn sot, ailleurs. I’ayme mieux encore estre vn sot, et icy, et là, que d’auoir si mal choisi, où