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Français que cela aura action ; parmi tant de gens d’àges différents, sur le vieillard ; que de tant de moments marqués par le mouvement des corps célestes, la conjonction de Vénus et de Saturne est celui qui présente le plus de chances de réussite ; qu’enfin parmi tant de parties du corps sur lesquelles on peut agir, c’est au doigt qu’il faut s’adresser. Si on considère que, dans tout cela, il n’a, pour le guider, ni argument, ni conjecture, ni faits antérieurs, ni inspiration divine ; que c’est la fortune seule qui le conduit, il faudrait vraiment, pour qu’il arrivât juste, que ce soit une fortune issue d’un art qui ait atteint la perfection, qui ait des règles et une méthode précises. Et puis, admettons la guérison : comment avoir l’assurance que le mal n’était pas à son terme ? qu’elle n’est pas due au hasard, ou l’effet d’autre chose que le malade aurait mangée, bue ou touchée ce jour-là ? ou encore, qu’elle n’a pas été accordée au mérite des prières d’une grand’mère ? Bien plus, alors même que le fait serait prouvé, combien de fois s’est-il renouvelé ? Y a-t-il là une longue série de résultats prévus, de constatations avérées, se tenant les uns les autres, nécessaires pour en tirer une conclusion ? Et cette conclusion, à qui incombe-t-il de la prendre ? De tant de millions d’hommes se livrant à ces expériences, il n’y en a que trois qui se soient donné la tâche d’enregistrer celles qu’euxmêmes ont tentées ; le hasard aura-t-il fait que ce soit l’un des trois qui, à point nommé, ait relevé celle-ci ? Et puis un autre, cent autres n’ont-ils pu faire des expériences qui aient abouti à des résultats contraires ? Peut-être serions-nous plus éclairés, si les jugements et les raisonnements de tous nous étaient connus ; mais admettre que trois témoignages apportés par trois docteurs suffisent pour régenter le genre humain, n’est pas raisonnable ; il faudrait, pour qu’ils aient une telle autorité, qu’ils eussent été choisis et délégués par lui, et que, par procuration expresse, nous les ayons constitués nos mandataires.

À Madame de Duras,

Elle lui a entendu exposer ses idées sur la médecine ; elle les retrouvera dans son ouvrage, où il se peint tel qu’il est. — « Madame, lorsque, dernièrement, vous êtes venue me voir, vous m’avez trouvé occupé à écrire les lignes qui précèdent. Il se peut que ces inepties vous tombent quelquefois sous la main ; je veux que, dans ce cas, elles témoignent aussi combien je suis honoré de la faveur que vous leur ferez en les lisant. Vous y reconnaîtrez les mêmes idées et la même manière de les exprimer que lorsque nous en causions ensemble. Alors même qu’il m’eût été possible d’y employer un autre langage que celui dont j’use d’ordinaire et une forme plus honorable et meilleure, je ne l’eusse pas fait, parce que je ne veux pas que ces lignes me rappellent à votre mémoire autrement que je ne suis. Ces observations et les considérations dont