Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/74

Cette page n’a pas encore été corrigée

eux, d’autant que l’aigreur et l’estrangeté sont accidens de l’essence propre de la medecine. Lycurgus ordonnoit le vin aux Spartiates malades. Pourquoy ? par ce qu’ils en haissoyent l’vsage, sains. Tout ainsi qu’vn Gentil-homme mon voisin s’en sert pour drogue tressalutaire à ses fiebures, par ce que de sa nature il en hait mortellement le goust. Combien en voyons nous d’entr’eux, estre de mon humeur ? desdaigner la medecine pour leur seruice, et prendre vne forme de vie libre, et toute contraire à celle qu’ils ordonnent à autruy ? Qu’est-ce cela, si ce n’est abuser tout destroussément de nostre simplicité ? Car ils n’ont pas leur vie et leur santé moins chere que nous ; et accommoderoient leurs effects à leur doctrine, s’ils n’en cognoissoyent eux mesmes la faulceté.C’est la crainte de la mort et de la douleur, l’impatience du mal, vne furieuse et indiscrete soif de la guerison, qui nous aueugle ainsi. C’est pure lascheté qui nous rend nostre croyance si molle et maniable. La plus part pourtant ne croyent pas tant, comme ils endurent et laissent faire car ie les oy se plaindre et en parler, comme nous. Mais ils se resoluent en fin Que feroy-ie donc ? Comme si l’impatience estoit de soy quelque meilleur remede, que la patience. Y a il aucun de ceux qui se sont laissez aller à cette miserable subiection, qui ne se rende esgalement à toute sorte d’impostures ? qui ne se mette à la mercy de quiconque a cette impudence, de luy donner promesse de sa guerison ? Les Babyloniens portoyent leurs malades en la place : le medecin c’estoit le peuple chacun des passants ayant par humanité et ciuilité à s’enquerir de leur estat : et, selon son experience, leur donner quelque aduis salutaire. Nous n’en faisons guere autrement : il n’est pas vne simple femmelette, de qui nous n’employons les barbottages et les breuets et selon mon humeur, si i’auoy à en accepter quelqu’vne, i’accepterois plus volontiers cette medecine qu’aucune autre d’autant qu’aumoins il n’y a nul dommage à craindre. Ce qu’Homere et Platon disoyent des Ægyptiens, qu’ils estoyent tous medecins, il se doit dire de tous peuples. Il n’est personne, qui ne se vante de quelque recepte, et qui ne la hazarde sur son voisin, s’il l’en veut croire. l’estoy l’autre iour en vne compagnie, où ie ne sçay qui, de ma confrairie, apporta la nouuelle d’vne sorte de pillules compilées de cent, et tant d’ingrediens de comte fait il s’en esmeut vne feste et vne consolation singuliere car quel rocher soustiendroit l’effort d’vne si nombreuse batterie ? l’entens toutesfois par ceux qui l’essayerent, que la