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tiens desirs : seul plaisir constant, incorruptible : desdaignent de s’attendre à nos necessiteuses commoditez, fluides et ambigues : et resignent facilement au corps, le soin et l’vsage, de la pasture sensuelle et temporelle. C’est vn estude priuilegé. Entre nous, ce sont choses, que i’ay tousiours veuës de singulier accord : les opinions supercelestes, et les mœurs sousterraines.Esope ce grand homme vid son maistre qui pissoit en se promenant, Quoy donq, fit-il, nous faudra-il chier en courant ? Mesnageons le temps, encore nous en reste-il beaucoup d’oisif, et mal employé. Nostre esprit n’a volontiers pas assez d’autres heures, à faire ses besongnes, sans se desassocier du corps en ce peu d’espace qu’il luy faut pour sa necessité. Ils veulent se mettre hors d’eux, et eschapper à l’homme. C’est folie : au lieu de se transformer en Anges, ils se transforment en bestes : au lieu de se hausser, ils s’abbattent. Ces humeurs transcendentes m’effrayent, comme les lieux hautains et inaccessibles. Et rien ne m’est facheux à digerer en la vie de Socrates, que ses ecstases et ses demoneries. Rien si humain en Platon, que ce pourquoy ils disent, qu’on l’appelle diuin. Et de nos sciences, celles-là me semblent plus terrestres et basses, qui sont les plus haut montees. Et ie ne trouue rien si humble et si mortel en la vie d’Alexandre, que ses fantasies autour de son immortalisation. Philotas le mordit plaisamment par sa responce. Il s’estoit coniouy aucc luy par lettre, de l’oracle de lupiter Hammon, qui l’auoit logé entre les Dieux. Pour ta consideration, i’en suis bien ayse : mais il y a dequoy plaindre les hommes, qui auront à viure auec vn homme, et luy obeyr, lequel outrepasse, et ne se contente de la mesure d’vn homme. Diis te minorem quòd geris, imperas. La gentille inscription, dequoy les Atheniens honnorerent la venue de Pompeius en leur ville, se conforme à mon sens :

D’autant es tu Dieu, comme
Tu te recognois homme.

C’est vne absoluë perfection, et comme diuine, de sçauoir iouyr loyallement de son estre. Nous cherchons d’autres conditions, pour n’entendre l’vsage des nostres : et sortons hors de nous, pour ne