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truire à escrire en quelque ville voisine, en rendit en fin vn beau notaire de village. Cettuy-cy, deuenu grand, commença à desdaigner leurs anciennes coustumes, et à leur mettre en teste la pompe des regions de deça. Le premier de ses comperes, à qui on escorna vne cheure, il luy conseilla d’en demander raison aux iuges Royaux d’autour de là ; et de cettuy-cy à vn autre, iusques à ce qu’il eust tout abastardy. A la suitte de cette corruption, ils disent, qu’il y en suruint incontinent vn’autre, de pire consequence, par le moyen d’vn medecin, à qui il print enuie d’espouser vne de leurs filles, et de s’habituer parmy eux. Cettuy-cy commença à leur apprendre premierement le nom des fiebures, des rheumes, et des apostemes, la situation du cœur, du foye, et des intestins, qui estoit vne science insques lors tres esloignée de leur cognoissance et au lieu de l’ail, dequoy ils auoyent apris à chasser toutes sortes de maux, pour aspres et extremes qu’ils fussent, il les accoustuma pour vne toux, ou pour vn morfondement, à prendre les mixtions estrangeres, et commença à faire trafique, non de leur santé seulement, mais aussi de leur mort. Ils iurent que depuis lors seulement, ils ont apperçeu que le serain leur appesantissoit la teste, que le boire ayant chault apportoit nuisance, et que les vents de l’automne estoyent plus griefs que ceux du printemps : que depuis l’vsage de cette medecine, ils se trouuent accablez d’vne legion de maladies inaccoustumées, et qu’ils apperçoiuent vn general deschet, en leur ancienne vigueur, et leurs vies de moitié raccourcies. Voyla le premier de mes comtes.L’autre est, qu’auant ma subiection graueleuse, oyant faire cas du sang de bouc à plusieurs, comme d’vne manne celeste enuoyée en ces derniers siecles, pour la tutelle et conseruation de la vie humaine ; et en oyant parler à des gens d’entendement comme d’vne drogue admirable, et d’vne operation infaillible : moy qui ay tousiours pensé estre en bute à tous les accidens, qui peuuent toucher tout autre homme, prins plaisir en pleine santé à me prouuoir de ce miracle ; et commanday chez moy qu’on me nourrist vn bouc selon la recepte. Car il faut que ce soit aux mois les plus chaleureux de l’esté, qu’on le retire et qu’on ne luy donne à manger que des herbes aperitiues, et à boire que du vin blanc. le me rendis de fortune chez moy le iour qu’il deuoit estre tué : on me vint dire que mon cuysinier trouuoit dans la panse deux ou trois grosses boules, qui se chocquoient l’vne l’autre parmy sa mangeaille. Ie fus curieux de faire apporter toute cette tripaille en ma presence, et fis ouurir cette grosse et large peau : il en sortit trois gros corps, legers comme des esponges, de façon qu’il semble qu’ils soyent creuz, durs au demeurant par le dessus et fermes, bigarrez de plusieurs couleurs mortes : I’vn parfaict en