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longues tables m’ennuyent, et me nuisent : car soit pour m’y estre accoustumé enfant, à faute de meilleure contenance, ie mange autant que i’y suis. Pourtant chez moy, quoy qu’elle soit des courtes, ie m’y mets volontiers vn peu apres les autres ; sur la forme d’Auguste : mais ie ne l’imite pas, en ce qu’il en sortoit aussi auant les autres. Au rebours, i’ayme à me reposer lon temps apres, et en ouyr comter pourueu que ie ne m’y mesle point ; car ie me lasse et me blesse de parler, l’estomach plain : autant comme ie trouue l’exercice de crier, et contester, auant le repas, tressalubre et plaisant. Les anciens Grecs et Romains auoyent meilleure raison que nous, assignans à la nourriture, qui est vne action principale de la vie, si autre extraordinaire occupation ne les en diuertissoit, plusieurs heures, et la meilleure partie de la nuict : mangeans et beuuans moins hastiuement que nous, qui passons en poste toutes noz actions : et estendans ce plaisir naturel, à plus de loisir et d’vsage, y entresemans diuers offices de conuersation, vtiles et aggreables.Ceux qui doiuent auoir soing de moy, pourroyent à bon marché me desrober ce qu’ils pensent m’estre nuisible car en telles choses, ie ne desire iamais, ny ne trouue à dire, ce que ie ne vois pas : mais aussi de celles qui se presentent, ils perdent leur temps de m’en prescher l’abstinence. Si que quand ie veux ieusner, il me faut mettre à part des souppeurs ; et qu’on me presente iustement, autant qu’il est besoin pour vne reglée collation : car si ie me mets à table, i’oublie ma resolution. Quand i’ordonne qu’on change d’apprest à quelque viande ; mes gens sçauent, que c’est à dire, que mon appetit est allanguy, et que ie n’y toucheray point. En toutes celles qui le peuuent souffrir, ie les ayme peu cuittes. Et les ayme fort mortifiées et iusques à l’alteration de la senteur, en plusieurs. Il n’y a que la dureté qui generalement me fasche (de toute autre qualité, ie suis aussi nonchalant et souffrant qu’homme que i’aye cogneu) si que contre l’humeur commune, entre les poissons mesme, il m’aduient d’en trouuer, et de trop frais, et de trop fermes. Ce n’est pas la faute de mes dents, que i’ay eu tousiours bonnes iusques à l’excellence ; et que l’aage ne commence de menasser qu’à cette heure. l’ay apprins dés l’enfance, à les frotter de ma serviette, et le matin, et à l’entrée et issue de la table.Dieu faict