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m’auoit apporté. Et me suis tousiours repenty de me rendormir le matin. Platon veut plus de mal à l’excés du dormir, qu’à l’excés du boire. I’ayme à coucher dur, et seul ; voire sans femme, à la royalle : vn peu bien couuert. On ne bassine iamais mon lict ; mais depuis la vieillesse, on me donne quand i’en ay besoing, des draps, à eschauffer les pieds et l’estomach. On trouuoit à redire au grand Scipion, d’estre dormart, non à mon aduis pour autre raison, sinon qu’il faschoit aux hommes, qu’en luy seul, il n’y eust aucune chose à redire. Si i’ay quelque curiosité en mon traictement, c’est plustost au coucher qu’à autre chose ; mais ie cede et m’accommode en gene— ral, autant que tout autre, à la necessité. Le dormir a occupé vne grande partie de ma vie : et le continue encores en cet aage, huict ou neuf heures, d’vne haleine. Ie me retire auec vtilité, de cette propension paresseuse : et en vaulx euidemment mieux. Ie sens vn peu le coup de la mutation : mais c’est faict en trois iours. Et n’en voy gueres, qui viue à moins, quand il est besoin et qui s’exerce plus constamment, ny à qui les coruées poisent moins. Mon corps est capable d’vne agitation ferme ; mais non pas vehemente et soudaine. Ie fuis meshuy, les exercices violents, et qui me meinent à la sueur : mes membres se lassent auant qu’ils s’eschauffent. Ie me tiens debout, tout le long d’vn iour, et ne m’ennuye point à me promener. Mais sur le paué, depuis mon premier aage, ie n’ay aymé d’aller qu’à cheual. À pied, ie me crotte iusques aux fesses et les petites gens, sont subiects par ces ruës, à estre chocquez et coudoyez à faute d’apparence. Et ay aymé à me reposer, soit couché, soit assis, les iambes autant ou plus haultes que le siege.Il n’est occupation plaisante comme la militaire : occupation et noble en execution (car la plus forte, genereuse, et superbe de toutes les vertus, est la vaillance) et noble en sa cause. Il n’est point d’vtilité, ny plus iuste, ny plus vniuerselle, que la protection du repos, et grandeur de son pays. La compagnie de tant d’hommes vous plaist, nobles, ieunes, actifs : la veuë ordinaire de tant de spectacles tragiques : la liberté de cette conuersation, sans art, et vne façon de vie, masle et sans ceremonie : la varieté de mille actions diuerses : cette courageuse harmonie de la musique guerriere, qui vous entretient et eschauffe, et les oreilles, et l’ame : l’honneur de cet exercice : son aspreté mesme et sa difficulté, que Platon estime si peu, qu’en sa republique il en