Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/668

Cette page n’a pas encore été corrigée

ments espreignent le pur sang de mes reins. Quoy pour cela ? ie ne laisse de me mouuoir comme deuant, et picquer apres mes chiens, d’vne iuuenile ardeur, et insolente. Et trouue que i’ay grand raison, d’vn si important accident : qui ne me couste qu’vne sourde poisanteur, et alteration en cette partie. C’est quelque grosse pierre, qui foulle et consomme la substance de mes roignons : et ma vie, que ie vuide peu à peu : non sans quelque naturelle douceur, comme vn excrement hormais superflu et empeschant. Or sens-ie quelque chose qui crousle ; ne vous attendez pas que i’aille m’amusant à recognoistre mon poux, et mes vrines, pour y prendre quelque preuoyance ennuyeuse. Ie seray assez à temps à sentir le mal, sans l’allonger par le mal de la peur. Qui craint de souffrir, il souffre desia de ce qu’il craint. Ioint que la dubitation et ignorance de ceux, qui se meslent d’expliquer les ressorts de Nature, et ses internes progrez et tant de faux prognostiques de leur art : nous doit faire cognoistre, qu’ell’a ses moyens infiniment incognuz. Il y a grande incertitude, varieté et obscurité, de ce qu’elle nous promet ou menace. Sauf la vieillesse, qui est vn signe indubitable de l’approche de la mort de tous les autres accidents, ie voy peu de signes de l’aduenir, surquoy nous ayons à fonder nostre diuination. Ie ne me iuge que par vray sentiment, non par discours. À quoy faire ? puisque ie n’y veux apporter que l’attente et la patience. Voulez vous sçauoir combien ie gaigne à cela ? Regardez ceux qui font autrement, et qui dependent de tant de diuerses persuasions et conseils : combien souuent l’imagination les presse sans le corps. I’ay maintesfois prins plaisir estant en seurté, et deliure de ces accidens dangereux, de les communiquer aux medecins, comme naissans lors en moy. Ie souffrois l’arrest de leurs horribles conclusions, bien à mon aise ; et en demeurois de tant plus obligé à Dieu de sa grace, et mieux instruict de la vanité de cet art.Il n’est rien qu’on doiue tant recommander à la ieunesse, que l’actiueté et la vigilance. Nostre vie, n’est que mouuement. Ie m’esbransle difficileinent, et suis tardif par tout à me leuer, à me coucher, et mes repas. C’est matin pour moy que sept heures et où ie gouuerne, ie ne disne, ny auant onze, ny ne souppe, qu’apres six heures. I’ay autrefois attribué la cause des ficbures, et maladies où ie suis tombé, à la pesanteur et assoupissement, que le long sommeil