Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/664

Cette page n’a pas encore été corrigée

d’vn esclair, la belle lumiere de la santé : si libre, et si pleine : comme il aduient en noz soudaines et plus aspres coliques ? Y a il rien en cette douleur soufferte, qu’on puisse contrepoiser au plaisir d’vn si prompt amendement ? De combien la santé me semble plus belle apres la inaladie, si voisine et si contigue, que ie les puis recognoistre en presence I’vne de l’autre, en leur plus hault appareil : où elles se mettent à l’enuy, comme pour se faire teste et contrecarre ! Tout ainsi que les Stoïciens disent, que les vices sont vtilement introduicts, pour donner prix et faire espaule à la vertu : nous pouuons dire, auec meilleure raison, et coniecture moins hardie, que Nature nous a presté la douleur, pour l’honneur et seruice de la volupté et indolence. Lors que Socrates apres qu’on l’eust deschargé de ses fers, sentit la friandise de cette demangeaison, que leur pesanteur auoit causé en ses iambes : il se resiouit, à considerer l’estroitte alliance de la douleur à la volupté : comme elles sont associées d’vne liaison necessaire : si qu’à tours, elles se suyuent, et entr’engendrent : et s’escrioit au bon Esope, qu’il deust auoir pris, de cette consideration, vn corps propre à vne belle fable.Le pis que ie voye aux autres maladies, c’est qu’elles ne sont pas si griefues en leur effect, comme elles sont en leur yssue. On est vn an à se rauoir, tousiours plein de foiblesse, et de crainte. Il y a tant de hazard, et tant de degrez, à se reconduire à sauueté, que ce n’est iamais faict. Auant qu’on vous aye deffublé d’vn couurechef, et puis d’vne calote, auant qu’on vous aye rendu l’vsage de l’air, et du vin, et de vostre femme, et des melons, c’est grand cas si vous n’estes recheu en quélque nouuelle misere. Cette-cy a ce priuilege, qu’elle s’emporte tout net. Là où les autres laissent tousiours quelque impression, et alteration, qui rend le corps susceptible de nouueau mal, et se prestent la main les vns aux autres. Ceux là sont excusables, qui se contentent de leur possession sur nous, sans l’estendre, et sans introduire leur sequele. Mais courtois et gratieux sont ceux, de qui le passage nous apporte quelque vtile consequence. Depuis ma colique, ie me trouue deschargé d’autres accidens : plus ce me semble que ie n’estois auparauant, et n’ay point eu de fiebure depuis. l’argumente, que les vomissemens extremes et frequens que ie souffre, me purgent : et d’autre costé, mes degoustemens, et les ieusnes estranges, que ie passe, digerent mes humeurs peccantes :