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enfans ; quand au partir du ventre des meres, ils les vont saluant, ainsin Enfant, tu és venu au monde pour endurer : endure, souffre, et tais toy. C’est iniustice de se douloir qu’il soit aduenu à quelqu’vn, ce qui peut aduenir à chacun. Indignare si quid in te iniquè propriè constitutum est.Voyez vn vieillart, qui demande à Dieu qu’il luy maintienne sa santé entiere et vigoureuse ; c’est à dire qu’il le remette en ieunesse.

Stulte, quid hæc frustra votis puerilibus optas ?

N’est-ce pas folie ? Sa condition ne le porte pas. La goutte, la grauelle, l’indigestion, sont symptomes des longues années ; comme des longs voyages, la chaleur, les pluyes, et les vents. Platon ne croit pas, qu’Esculape se mist en peine, de prouuoir par regimes, à faire durer la vie, en vn corps gasté et imbecille : inutile à son pays, inutile à sa vacation : et à produire des enfants sains et robustes : et ne trouue pas ce soing conuenable à la iustice et prudence diuine, qui doit conduire toutes choses à l’vtilité. Mon bon homme, c’est faict on ne vous sçauroit redresser on vous plastrera pour le plus, et estançonnera vn peu, et allongera-lon de quelque heure vostre misere.

Non secus instantem cupiens fulcire ruinam,
Diuersis contrà nititur obijcibus,
Donec certa dies, omni compage soluta,
Ipsum cum rebus subruat auxilium.

Il faut apprendre à souffrir, ce qu’on ne peut euiter. Nostre vie est composée, comme l’harmonie du monde, de choses contraires, aussi dé diuers tons, doux et aspres, aigus et plats, mols et graues. Le musicien qui n’en ayıneroit que les vns, que voudroit il dire ? Il faut qu’il s’en scache seruir en commun, et les mesler. Et nous aussi, les biens et les maux, qui sont consubstantiels à nostre vie. Nostre estre ne peut sans ce meslange ; et y est l’vne bande non moins necessaire que l’autre. D’essayer à regimber contre la necessité naturelle, c’est representer la folie de Ctesiphon, qui entreprenoit de faire à coups de pied auec sa mule.Ie consulte peu, des alterations, que ie sens. Car ces gens icy sont auantageux, quand ils vous tiennent à leur misericorde. Ils vous gourmandent les oreilles, de leurs prognostiques, et me surprenant autre fois affoibly du mal, m’ont iniurieusement traicté de leurs dogmes, et troigne magistrale : me menassant tantost de grandes douleurs, tantost de mort prochaîne. le n’en estois abbatu, ny deslogé de ma place, mais i’en estois heurté et poussé. Si mon iugement n’en est ny changé, ny troublé : au moins il en estoit empesché. C’est tousiours agitation et combat.