Page:Montaigne - Essais, Didot, 1907, tome 3.djvu/654

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perse. Quand ie mastine mon laquay, d’vn ton aigre et poignant : il seroit bon qu’il vinst à me dire : Mon maistre parlez plus doux, ie vous oy bien. Est quædam vox ad auditum accommodata, non magnitudine, sed proprietate. La parole est moitié à celuy qui parle, moitié à celuy qui l’escoute. Cestuy-cy se doibt preparer à la receuoir, selon le branle qu’elle prend. Comme entre ceux qui ioüent à la paume, celuy qui soustient, se desmarche et s’appreste, selon qu’il voit remuer celuy qui luy iette le coup, et selon la forme du coup.L’experience m’a encores appris cecy, que nous nous perdons d’impatience. Les maux ont leur vie, et leurs bornes, leurs maladies et leur santé. La constitution des maladies, est formée au patron de la constitution des animaux. Elles ont leur fortune limitée dés leur naissance : et leurs iours. Qui essaye de les abbreger imperieusement, par force, au trauers de leur course, il les allonge et multiplie : et les harselle, au lieu de les appaiser. Ie suis de l’aduis de Crantor, qu’il ne faut ny obstinéement s’opposer aux maux, et à l’estourdi : ny leur succomber de mollesse mais qu’il leur faut ceder naturellement, selon leur condition et la nostre. On doit donner passage aux maladies : et ie trouue qu’elles arrestent moins chez moy, qui les laisse faire. Et en ay perdu de celles qu’on estime plus opiniastres et tenaces, de leur propre decadence : sans ayde et sans art, et contre ses regles. Laissons faire vn peu à Nature : elle entend mieux ses affaires que nous. Mais vn tel en mourut. Si ferez vous : sinon de ce mal là, d’vn autre. Et combien n’ont pas laissé d’en mourir, ayants trois medecins à leur cul ? L’exemple est vn miroüer vague, vniuersel et à tout sens. Si c’est vne medecine voluptueuse, acceptez la ; c’est tousiours autant de bien present. Ie ne m’arresteray ny au nom ny à la couleur, si elle est delicieuse et appetissante. Le plaisir est des principales especes du profit. l’ay laissé enuieillir et mourir en moy, de mort naturelle, des rheumes ; defluxions goutteuses ; relaxation ; battement de cœur ; micraines ; et autres accidens, que i’ay perdu, quand ie m’estois à demy formé à les nourrir. On les coniure mieux par courtoisie, que par brauerie. Il faut souffrir doucement les loix de nostre condition. Nous sommes pour vieillir, pour affoiblir, pour estre malades, en despit de toute medecine. C’est la premiere leçon, que les Mexicains font à leurs